Épilogue

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Detroit, juillet 2053


Les souvenirs stockés dans sa mémoire essayaient de s'adapter au décor que Kara redécouvrait, devinant les structures de la gare qui avaient été modifiées. Le toit en verre, sans pudeur, dévoilait ses armatures en métal, et l'acier nu devenait terne à force d'être caressé par un soleil brûlant. Lui, au moins, n'avait pas changé, et il ne changerait pas avant plusieurs siècles, constant jusqu'à son extinction.

Luther admirait aussi les hauteurs, partagé entre la surprise et la nostalgie. Jamais il n'aurait cru revenir à Detroit quinze ans après sa fuite vers le Canada, et pourtant, il foulait le sol de la gare, accompagné de Kara et Alice qui était celle qui montrait le plus d'enthousiasme.

L'enfant éternelle sautillait : la liberté lui avait offert un sourire qui ne s'était jamais effacé, et le bonheur détendait toutes ses articulations. Ses petits bonds étaient bien moins fluides que les modèles récents, mais quelle joie ! Quelle joie de pouvoir vivre avec sa famille !

« Qui aurait cru que les choses allaient enfin changer ? » Demanda Luther avec un sourire doux, plus épanoui que ceux qu'il avait autrefois.

« Nous sommes enfin libres. »

Kara glissa sa main dans celle de celui qu'elle appelait mari. Ce n'était pas un déguisement, ce n'était que la plus tendre des vérités.

L'androïde maternel reporta son attention sur l'enfant, et sa LED devint jaune.

« Alice ! Attention ! »

Trop tard. Le petit robot heurta un homme qui traînait une valise encombrante. À cause de la collision et du poids du bagage, il faillit perdre l'équilibre.

« Putain de merde ! »

Le voyageur fit un mouvement brusque avec son bras, peut-être pour être à nouveau stable sur ses deux jambes, mais sa colère laissait imaginer une claque réprimée à temps. Kara prit peur et se rapprocha avec rapidité, passant ses bras fins sur les épaules d'Alice. La petite s'excusa d'une voix si petite qu'elle ne s'entendait pas dans ce brouhaha sans arrêt en mouvement.

L'homme secoua la tête avec une grimace et reprit son chemin, pressé.

« Certains humains ne changeront pas... » Déplora Luther, et ils observèrent l'humain s'éloigner.

Le passager déposa soudain la valise aux pieds d'un androïde, près d'une autre valise tout aussi imposante, et, à la grande surprise de la famille, l'enlaça, s'avachissant presque contre le corps de métal.

« Tout ce monde, Conrad, j'en peux plus... Trop d'humains, trop d'androïdes... J'en ai ras le cul.

— En Bretagne, il y aura beaucoup moins de monde. » Promit le RK900, embrassant Gavin à la tempe, là où des cheveux avaient commencé à grisonner. Lui-même, par amusement et par complicité, avait fait blanchir quelques cheveux, imitant une vieillesse qui ne le rouillait que de l'intérieur.

Leurs articulations s'usaient en chœur, mais ils ignoraient les années qui s'acharnaient. Quelques rides ne changeaient ni leur caractère, ni leur amour.

« C'est quand même dingue, » continuait de se plaindre Gavin, « que les correspondances existent encore ! »

Ils devaient prendre un train jusqu'à l'aéroport de Toronto, de là, ils prendraient un avion qui irait jusqu'à Paris, où ils resteraient deux jours, puis ils partiraient en direction de Lorient, où habitait Florent le Dantec depuis bientôt six ans.

Visage Familier III - L'Héritage de CyboreaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant