1| Cirque Arcanus

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Les ténèbres ne retinrent pas Esther longtemps.

La minuscule pièce dans laquelle elle pénétra n'était pas éclairée, pourtant elle y vit suffisamment clair pour distinguer les contours d'un guichet en bois, surmonté d'une pancarte, sur sa droite. Des chiffres y étaient inscrits à la craie blanche, pour indiquer aux spectateurs le coût d'entrée du cirque. À l'extrémité de ce sas se trouvaient deux grands rideaux d'un rouge aussi vibrant que la toile extérieure. La luminosité qui filtrait par l'interstice repoussait les ténèbres et invitait à pénétrer dans la pièce principale du chapiteau : la piste. La jeune sorcière s'y engouffra sans plus attendre.

Les rideaux bruissèrent doucement derrière Esther en se refermant alors qu'elle entamait sa descente des gradins pour se rendre près de la piste sableuse et déserte. Celle-ci n'était pas bien grande, mais la haute cage en fer qui l'englobait la rendait impressionnante. En arrivant au niveau de la piste, Esther ne put s'empêcher de se retourner et d'observer les gradins qui l'encerclaient. Une cinquantaine de personnes pouvait s'y amasser facilement et la jeune femme s'imagina être au centre de toute cette attention.

Jugée, piégée, moquée.

Elle en eut des frissons.

Amère, elle se mit à tapoter distraitement les barreaux de la cage, faisant tinter le métal sur son chemin. Et, comme en écho, elle entendit un tintement métallique lui répondre. Plus faible. Plus lointain. Elle se retourna face à la piste et aperçut alors que celle-ci n'était pas simplement un rond de sable entouré d'une cage et de gradins.

Contrairement à ce qu'elle avait pensé en entrant, les gradins ne faisaient pas tout le tour de la piste, mais s'arrêtaient sur trois mètres, pour permettre à un chemin de sable de s'enfoncer au-delà de la pièce et, camouflé par des rideaux, de créer un tunnel plongé dans l'obscurité. Esther avait beau n'avoir jamais mis les pieds dans un cirque auparavant, elle se doutait que ce tunnel servait à rejoindre les coulisses et à faire défiler les monstres du cirque en toute sécurité.

Avec cette découverte, elle se mit aussi à entendre des sons qu'elle n'avait pas remarqués préalablement : un braillement aigu et régulier, des rugissements fatigués et un grattement sourd, mécanique, lugubre. La jeune femme en frissonna de dégoût.

— Vous n'avez rien à faire ici, gronda une voix puissante qui provoqua un sursaut chez la sorcière. Veuillez déguerpir de mon cirque sur-le-champ.

Esther se retourna en direction de l'homme qui venait de parler. Elle n'était pas facile à surprendre, mais ce sorcier, au gabarit imposant, s'était glissé dans la pièce sans qu'elle ne l'entende.

— Vous êtes sourde ? Insista-t-il en s'engouffrant pleinement dans la pièce, laissant ouvert derrière lui le passage qui était auparavant camouflé par l'un des nombreux rideaux rouges du chapiteau.

Esther s'humecta les lèvres, déjà agacée par cet homme massif qui la regardait comme une vermine de la pire espèce. Elle se demanda s'il espérait l'intimider en la traitant ainsi, et quand elle le vit s'avancer brutalement vers elle, le visage luisant et les poings serrés, elle comprit que c'était effectivement le sentiment qu'il souhaitait lui faire ressentir. Et cela aurait sûrement fonctionné si Esther n'avait pas été confrontée à bien pire au cours de sa vie. Elle n'eut donc aucun mal à lui rendre un regard tout aussi hautain et froid que le sien, ce qui le fit hésiter, comme elle s'y était attendue. Au lieu de s'avancer jusqu'à elle, l'homme s'arrêta à quelques mètres et Esther prit la parole, avant qu'il ne le fasse.

— Vous êtes Skender ? Le gérant de cette farc- de ce cirque ?

L'interpellé garda le silence pendant quelques secondes, jaugeant son adversaire, puis finit par lâcher, à contrecœur.

Double Jeu | Credence BareboneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant