7| Pierre Colin

64 9 2
                                    

18 mars 1927. Paris, France.

— Nom d'un gobelin mal luné, Fredrick, arrête de gigoter !

C'était la troisième fois en quelques minutes qu'Esther s'emportait contre le garçon, qui ne faisait que se dandiner sur place.

— C'est trop serré, se plaignit-il en tirant sur le col de son nouveau costume grotesque.

Ce vêtement, provenant d'une petite braderie toulousaine rencontrée sur leur trajet en direction de Paris, était un ajout de Skender, qui souhaitait rendre le numéro de Fredrick plus attrayant. Le fait que le costume soit deux tailles trop petites pour le garçon ne l'avait pas dérangé. Esther, à la demande d'Harish, se retrouvait donc à aider son jeune collègue.

Assise sur un tabouret dans une petite pièce ronde bourrée d'accessoires et de costumes donnant directement accès à la piste, elle s'en mordait les doigts.

— Arrête de bouger maintenant ! Ordonna-t-elle en tirant sur les boutons-pression du costume.

— Je... peux... pas... marmonna-t-il.

Transpirant, il se débattait encore avec son col, défaisant tout le travail d'Esther. Quand la sorcière tirait sur le tissu, il en faisait de même, et quand elle voulut fermer un bouton, il s'agita tant qu'il faillit lui frapper le visage.

La jeune femme recula précipitamment et son tabouret vacilla. Elle retrouva l'équilibre de justesse, évitant une chute, mais ne s'épargna pas une certaine humiliation. Harish, hilare, imita ses battements de bras frénétiques.

— Très gracieux, trouva-t-il la force de dire à la fin de son fou rire.

Esther lui lança un regard noir peu convaincant.

— Bon maintenant ça suffit, bougonna-t-elle. (Elle se mit debout et pointa sa baguette sur Fredrick. Le garçon s'immobilisa aussitôt). Désolée ! Petrificus totalus.

Le sort frappa Fredrick de plein fouet et il se pétrifia, la pince encore au niveau de ses clavicules, son poing enserrant les plumes sombres de son hideux costume. Dire qu'une créature, sûrement magnifique, avait été tuée pour fournir un résultat aussi atroce...

Esther se rassit sur son tabouret et s'attela à sa tâche. Elle s'égratigna les doigts sur les minuscules boutons-pression jusqu'à ce qu'ils soient tous fermés, et faillit y perdre un ongle au passage. Quand elle se redressa pour admirer son œuvre, Harish lui fit un signe inquiet.

— Libère-le !

Esther remarqua alors la rougeur inquiétante qui se propageait sur le visage déformé de Fredrick. Paniquée, elle annula le sort et le garçon prit aussitôt plusieurs grandes inspirations en bougeant frénétiquement des bras. Le tissu se déchira alors de tout côté. Une quantité absurde de plumes tomba au sol et les boutons-pression, si laborieusement fermés, se transformèrent en projectiles à la première inspiration de Fredrick. L'un d'eux finit sa course sur le front d'Harish et, cette fois-ci, ce fut Esther qui eut un fou rire tandis que l'homme se frottait le front en jurant ; une marque rouge marquant déjà sa peau.

Fredrick n'était pas amusé. Il laissa échapper un couinement étranglé.

— Il va me tuer...

Il tomba pratiquement à terre, ses genoux s'écorchant contre le sol en bois et faisant sauter, au passage, encore plus de coutures. Laborieusement, il récupérera les plumes et les boutons de son costume avec ses pinces.

— Il faut le réparer, Esther, s'il te plaît, couina-t-il en se relevant.

Il fourra une dizaine de plumes et deux malheureux boutons dans les mains d'Esther puis fit plusieurs signes de tête en direction de la baguette magique de cette dernière. Le pauvre avait les larmes aux yeux.

Double Jeu | Credence BareboneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant