Le bijoutier

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     Bonne lecture 😘
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     Depuis l'aube tout le village de Kër Maam Rab était en effervescence. C'était vendredi, jour que les villageois honoraient particulièrement, non pas parce que c'est le jour béni des musulmans, mais pour bien autre chose. Tandis que s'activaient les hommes pour liquider les gros travaux champêtres, les femmes de leur côté ne s'accordaient aucun répit. Les travaux domestiques accomplis, il fallait préparer les habits d'apparat, apprêter les toilettes et les coiffures, choisir et cirer les chaussures, mélanger les crèmes éclaircissantes, façonner les fards, doser les parfums, embellir les petits pagnes de motifs suggestifs et arranger les diverses perles de dialdiali avant le grand tam-tam que l'on organisait dans l'après-midi.

      C'était aussi un jour très propice pour le commerce. Personne ne s'etonna donc d'entendre de si bon matin la voix de Penda la Peulh crier, de porte en porte :

_ Qui veut du lait ? Qui m'achète du bon lait ? Qui veut du bon lait ?

       Ce refrain était indéfiniment répété. Sa voix résonnait forte et haut, de ruelle en ruelle, de maison en maison. Quand on lui demandait de venir, elle s'arrêtait, déposait sa calebasse, en retirant le couvercle pour plonger dans le lait onctueux la louche qui lui servait de mesure et, délicatement, en puisait la quantité demandée.
Elle ne manquait jamais de rajouter, pour ses bons clients, un peu de crème qu'elle gardait dans un petit récipient.

     La calebasse en équilibre sur la tête, les mains ballants, le port royal, le buste haut et frémissant des ses appas dressés, Penda la Peulh criait de case en case :

_ Qui veut du lait ? Qui m'achète du bon lait ? Qui veut...

_ Ici. Par ici, lança une voix rauque de l'autre côté de la rue.

Penda traversa lentement la grande rue menant à la bijouterie d'où provenait l'appel. Elle trouva devant lui le bijoutier en personne, un récipient à la main. Penda déposa sa calebasse et mit genoux à terre, découvrant déjà le précieux contenu. L'homme s'accroupit bien en face d'elle.

_ Tu es bien matinale, aujourd'hui, belle Peulh.

_ Comme tous les vendredis. C'est un bon jour pour moi.

_ C'est vrai, admit l'homme qui plongea son regard avec insistance dans le buste de la jeune fille avant d'ajouter :

_ Pour le lait, je suis très exigeant et j'en bois beaucoup quand il est bon. On m'a dit beaucoup de bien du tien.

_ Ne t'inquiète pas, tu seras satisfait de mon lait. Personne ne s'est jamais plaint de mon lait.

_ Je n'en doute pas et, si l'on en juge par celle qui le vend, comment ne pas être déjà satisfait et comblé d'être servi par d'aussi délicates mains et...

_ Combien en veux-tu ? Interrompu Penda qui n'accorda aucun crédit aux paroles onctueuses du bijoutier qui, nullement décontenancé, enchaîna sur un mode badin :

_ De vous, il m'en faut si peu pour étancher à jamais ma soif.

_ Deux louches y suffiront-elles ?

_ Non. Pas tout le lait du monde, mais un seul sourire de la laitière pourrait sans doute...

_ Je n'en vends pas. Je vois que tu veux ce que tu ne peux avoir, dit Penda qui s'apprêtait à se lever quand le bijoutier lui retint doucement le bras en souriant d'un sourire contrit.

_ Ne pars pas, je plaisante et sers-moi donc trois bonnes mesures, dit l'homme en présentant son récipient à Penda et en poursuivant : je sais que tu vis toute seule. N'hésite pas à m'appeler pour t'aider si tu as besoin de moi. Tu sais, bien que bijoutier, je m'y connais fort bien pour réparer des enclos, pour soigner des bêtes, pour casser du bois, pour réparer des toitures et je pourrais aussi t'apporter des cadeaux qui...

Penda La PeulhOù les histoires vivent. Découvrez maintenant