La fille de La Folle et le forgeron

265 41 16
                                    

Bonne Lecture 😘

____________________________

       Trois jours passèrent depuis la découverte macabre qui bouleversa tout le village. La chaleur était toujours aussi torride en ce début d'hivernage. Le ciel s'était retiré jusqu'à sa septième demeure, tandis que le soleil, qui trônait partout en maître incontesté, incendiait la terre de ses rayons. De l'autre extrémité du village, mais non loin de la case de Penda la Peulh, celle que les villageois avaient surnommé La Folle venait d'avoir un terrible crise.

        Ses cris étaient si violents que tout les habitants apeurés croyaient entendre un cochon en train de se faire dépecer vif. Il n'en était rien. Quand arrivèrent les villageois, ils trouvèrent La Folle qui criait encore de toute la force de ses poumons en débitant des paroles incompréhensibles. Sa fille, en pleurs, désespérée de la voir dans un tel état, essayait en vain de la calmer. Jamais encore on n'avait vu La Folle ainsi.

        Elle répétait inlassablement les mêmes mots, entrecoupés de cris : il est là... Il est là... Il vient.

        Personne ne savait de qui elle parlait. Elle ne semblait même pas remarquer l'attroupement des villageois autour d'elle. Elle criait en se couvrant par moment le visage comme pour se cacher d'une présence horrible et terrifiante dont elle aurait peur.

         Il est là... Il est là... Et soudain elle se roula dans la poussière, les mains labourant le sable. Elle se tapait la poitrine, gesticulait et hurlait. Elle n'avait plus rien d'humain. Elle semblait souffrir comme une bête blessée. Elle rejeta violemment les personnes qui essayaient de la ceinturer pour la calmer. Elle se dégagea avec une force insoupçonnée en gesticulant de plus belle, le doigt pointé en direction du fleuve. Tout d'un coup, elle se figea. Tout son corps se raidit. Telle une statue vivante, les yeux fixes et injectés de sang, la bouche dégoulinante de bave, répéta à plusieurs reprises :

      Il est là... Il vient... Le fleuve, il...

       On essayait de la calmer, mais rien n'y fit. À en croire certaines vieilles femmes, qui s'étaient rendu sur les lieux en calèche, il fallait attendre que la crise passât d'elle-même. Sa fille Seynabou pleurait en silence, soutenue par le forgeron qui avait pour elle une véritable affection. Elle pleurait tout en essayant de calmer sa mère :

_ Maman ! Maman ! Il n'y a rien, il n'y a rien. Calme-toi.

           La voix étouffée par les sanglots, elle pleurait soutenue par le forgeron. La Folle, n'entendant et n'écoutant personne, délivrait toujours, les yeux fixes et l'index pointé vers le fleuve. Au bout d'un temps qui parut interminable à tous, elle se tut enfin, examina les gens autour d'elle, s'assit à même le sol et plongea dans un calme relativement serein. La crise avait cessé.

         Les villageois finirent, après force insistance de Seynabou et du forgeron, par rentrer chez eux, par petits groupes, en regrettant presque que le spectacle soit fini. Le forgeron resta seul avec les deux femmes pour, en cas de besoin, les secourir comme il l'exprima à ses amis. Il aida la jeune fille à coucher La Folle qui ne tarda pas à s'endormir sur une natte au beau milieu de la case. La fille recouvrit sa mère d'un pagne.

           Devant ce visage qu'elle connaissait pourtant si bien, Seynabou fut cependant tout étonnée de ne pas le reconnaître. Elle avait la bizarre impression que c'était celui d'un autre, pis d'être devant un masque mortuaire, tellement la transformation de ce visage assez rondelette, sillonné de profondes rides et vide de toute expression, avait été radicale. Plus elle regardait sa mère, plus celle-ci lui apparaissait comme une étrangère. Ce sentiment étrange la peina et la bouleversa au point de lui faire douter un instant, un court instant, de la sincérité du profond amour qu'elle éprouvait pour elle. Elle savait bien que c'était sa mère et qu'elle l'aimait plus que tout au monde. Mais alors comment se pouvait-il que des idées aussi obscures purent la troubler ainsi ? Serait-elle en train de devenir folle comme sa mère ?

Penda La PeulhOù les histoires vivent. Découvrez maintenant