Le cadavre d'Aïdara le Maure

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Bonne Lecture 😘

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          La matinée était splendide. L'air frais présageait une journée agréable. Le ciel était d'un bleu si pur qu'on aurait dit qu'il venait d'être fraîchement peint. Peu à peu, sortant des torpeurs de la nuit, le village s'éveillait retentissant de bruits familiers, sereins et doux : au loin des clochettes de moutons ponctuées par la flûte aiguë du berger prenant la direction des pâturages, des aboiements de chiens se mêlent aux cris des enfants.

           Levées les premières, les femmes avaient toujours beaucoup à faire : nettoyer, laver, ranger, balayer, puiser de l'eau et préparer le déjeuner pour hommes et enfants. Seulement ce matin-là, il leur fallait beaucoup d'ingéniosité et de <<débrouillardise>> pour manger et même pour faire le ménage, car la boutique, l'endroit le plus fréquenté du village, demeurait désespérément fermée. Elle était fermée, la boutique d'Aïdara le Maure. Il fallait se rendre à l'évidence. Les deux gardes avaient veillé toute la nuit et ne l'avaient pas vu. La chose était grave.

            Les villageois admirent, en effet, qu'il était surprenant de partir en abandonnant tout bien, surtout de la part du Maure réputé pour son sens de l'économie, pour ne pas dire son avarice. Pour les villageois, deux questions, que formula l'instituteur en ces termes, restaient sans réponse :

_ Primo : s'il n'était pas définitivement parti du village, comment se fait-il que personne depuis hier ne l'ait vu ?

_ Secundo : Comment se fait-il qu'il ne soit pas revenu ?

_ Jamais encore la boutique n'était restée fermée si longtemps. Il doit se passer quelque chose de bizarre là-dessous, dit quelqu'un.

         Les esprits, du reste, commençaient à s'échauffer et les imaginations à vagabonder. Une vieille femme chétive qui suivait Souleymane Diagne depuis un moment le prit par le bras en disant tout haut, de façon à être entendue de tous :

_ Je vous le dis, il est temps d'exorciser notre village. Des démons  nous cernent. Oui des êtres mauvais, des amis du mal nous cernent.

            Souleymane fit un effort pour se dégager, mais la vieille le retint fermement en poursuivant :

_ Ils sont grands, si grands que leur tête touche la cîme des arbres, et ils nous regardent tous. Ils ont des yeux qui brillent et qui crachent du feu. Ils sont méchants et sanguinaires.

_ Comment ? Où sont-ils ? S'inquiétait-on de toutes parts.

La vieille agrémenta son extraordinaire histoire de détails des plus invraisemblables sur leurs formes, leur poids, leurs façons d'opérer. Souleymane essayait de la faire taire, mais, n'y réunissant pas, il s'adressa aux villageois :

_ Ne l'écoutez pas ! Elle ne sait pas ce qu'elle dit. Écoutez-moi. Taisez-vous et écoutez tous ! Je pense que nous devons...

           Il ne put terminer sa phrase, car, à ce moment précis, un vieux assis à l'écart de l'attroupement, connu par ses taquineries et son esprit farceur, levant les bras au ciel, lança, en pointant l'index en direction du fleuve :

_ Attention, les démons arrivent là-bas ! Regardez, là-bas en direction du fleuve.

          Tous regardèrent à l'endroit indiqué, le cœur battant. Le vieux éclata de rire, d'un rire sonore suivi d'un long toussotement qui le secoua longtemps. Personne n'avait envie de rire. Ils étaient tous angoissés, et cela d'autant plus que les paroles entendues ici, ils les avaient déjà entendues avec la vieille Folle, ce qui les avait bien troublé alors. Oui, La Folle aussi dit des paroles auxquelles personne ne prêtait attention, mais qui, pour certains, résonnaient maintenant de façon étrange et terrible comme une prophétie qui, selon certains, ne tarderait pas à se réaliser.

Penda La PeulhOù les histoires vivent. Découvrez maintenant