Les dyali ( Griots, maîtres de la parole )

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Bonne Lecture 😘

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        L'ardeur des danseuses s'était un peu émoussée. Les griots jouaient maintenant sur un rythme lent et monotone. C'était l'intermède pour permettre aux spectateurs de se délasser un peu, aux jeunes filles de se prélasser en attitudes provocantes et suggestives et aux femmes de se refaire une beauté, en contrôlant une et mille choses futiles et inutiles, mais si nécessaires pour elles qu'elles se passeraient de boire et de manger qu'elles ne l'eurent accompli.

        La place étant envahi par les dyali, rivalisant de louanges adressées aux notables. Vêtus de grands boubous richement et chichement brodés, les manches amples retroussées sur les épaules, les dyali avaient la parole haute et belle. Poètes, les dyali sont noueurs de mots et de formules qui ne le cèdent pas en beauté aux figures gracieuses des danseuses.

        Souleymane Diagne, gonflé comme une outre, savourait le silence grondant de ses glorieux ancêtres, terribles et fougueux cavaliers surgis du passé, mais domptés dans l'appel juste de la langue caressante et merveilleuse des dyali. Le tam-tam crépita. Les griots hurlèrent de plus belle, montant à l'assaut des vanités, aiguisant les orgueils. Souleymane bomba la poitrine, la tête haute. Le temps et l'espace étaient au mémorial.

         L'épopée se fit présence dans le village libéré. Jouant de la voix et du geste, nos poètes dyali, en le dit solennel des hauts faits, guident nos pas et nos mains, nos yeux et nos cœurs dans la demeure des héros. Dans les champs de bataille, nous les suivons couverts de poussière, la narine enflée de l'odeur de sang des vaincus, les yeux et les oreilles remplis de fumée de la poudre des canons. Terribles, ils furent les ancêtres chantés et terribles nous sommes. Par les dyali, leur combats sont les nôtres, leur chevauchée fantastique, la nôtre et leurs amours, de même que leur j'ai haine, deviennent aussi nôtres.

        Aucune parole n'est dite dans la langue plaisante des griots où nous ne sommes dits nous-mêmes. Oh, merveilleuse mémoire ! Griots qui veillez comme << pensée fidèle >>, transportez-nous encore ! Nous vous suivons, nos oreilles à l'affût de votre langue dressée. Oh, merveilleuses paroles ! Griots, gardiens de notre belle mémoire, dites-nous encore ce qui demeure même si cela ne fut jamais !

        La généalogie merveilleuse que les dyali tissaient aux notables et à Souleymane, le chef de village, portée par le rythme sourd et grave du tam-tam, était adressé à tous, pour que vive le passé en venue dans le présent, dans l'écoute des hommes et des femmes, dans le silence émerveillé des enfants et dans le battement saccadé du tam-tam. Tous, dans la louange des griots, participaient à faire revivre ce passé qui en nous advient, dans la puissance grondante et sauvage des guerriers, dans le rapt violent et sanglant de l'epousée royale, dans la parole silencieuse des devins, dans le regard incendiaire et fascinant des monstres d'abîme, dans la douleur et la violence du héros, dans le sourire glacial des sorcières, dans la beauté envoûtante de la Princesse des ombres, dans le courage noble du Prince, dans la douceur douloureuse des amants séparés, dans les ruses de l'enfant abandonné, dans le courroux des dieux vengeurs.

        Les dyali chantaient et leurs paroles étaient belles.
Les dyali parlaient et leur chant était beau. Rien ne fut dit qui fut étranger aux villageois et rien des villageois n'était étranger aux dyali.

        Chants et danses rivalisaient dans l'espace du village, devenu un instant lieu de mémoire, où passé et présent s'accordèrent en une renaissance simultanée dans la langue des griots et dans le jeu factice et grave du tam-tam. Tous écoutaient, séduits par le charme de ce don tout ensemble gratuit et fugitif comme un jeu, mais grave et sérieux comme peut l'être tout ce qui s'attache à la mémoire. Que tout cela fut ou ne fut pas, qu'importe ! Parler, c'est toujours mentir un peu, et du griot qui vit de parole, le mensonge n'est rien d'autre qu'une louange.


           Le tam-tam résonna sur un rythme différent sollicitant le silence complet. Brusquement tout s'arrêta. Du passé que nous habitâmes avec les dyali, nous fûmes ramenés au présent du village, dans la quotidienneté d'avant-fête. La fête était bel et bien finie avec la prestation des poètes.

        La foule, pour remercier les griots, leur fit honneur par des applaudissements nourris et par un jet de bonnets, de mouchoirs, de foulards, de pagnes, de billets de banques, de pièces de monnaie, de boubous. Ils se baissaient pour ramasser, tendaient les mains pour cueillir, sautaient pour saisir et se disputaient avec les intrus qui profitaient de la cohue pour leur soutirer leur dû. Ils ne savaient plus où donner de la tête. Souleymane et son épouse avaient donné le ton en éparpillant d'un geste ample des liasses de billets de banque. Les autres notables avaient suivi. C'est le cœur qui donne, c'est la main qui exécute. Les nobles sont ceux dont la main est proche du cœur, et tout bon griot sait que la manière de donner vaut mieux que ce l'on donne. Souleymane avait du cœur et de la manière.

       La place du village était maintenant assiégée par une troupe d'enfants qui affluaient de toutes parts, en labourant et en fouillant des doigts et des pieds le sable dans l'espoir de ramasser quelques pièces qui avaient échappé à la vigilance exercée des griots. C'était à qui en  trouverait le plus. La place ne tarda pas à se transformer en arène. La bagarre des enfants attira leurs mères qui, en séparant les meutes belliqueuses, ne tardèrent pas elles-mêmes à s'empoigner comme des forcenés. Le désordre étai à son comble.

        Les joueurs de tam-tam, sous la volée de sable et de poussière, rangeaient déjà leur matériel tandis que s'éloignaient promptement les notables et leurs épouses, alors que les garçons couraient derrière les filles qui poussaient de petits cris métalliques et sensuels qui n'avaient d'autres buts que d'exciter davantage leurs galants et d'aiguiser leur ardeur virile.

       La fête était bien finie. Pour les plus jeunes, elle commençait vraiment. Il y avait les chercheurs d'or enfoui sous leurs pas et il y avait ceux, plus grands, pour qui le trésor était un visage, un doux sourire et un corps de femme avec ses rondeurs et ses manières lascives. Les jeunes hommes, les filles et les enfants étaient désormais les maîtres des lieux. Les spectateurs avaient déserté la place. Seule, s'attardait la femme du bijoutier qui balayait du regard les groupes bavardant ça et là dans l'espoir d'apercevoir son mari. Elle vit au loin l'épouse de Souleymane, la rejoignit, causa un instant avec elle, la quitta et se dirigea d'un pas lent, mais résolu, vers sa maison, tout en se retournant constamment et en furetant partout.
















Voilà la suite et désolée pour le longue attente j'étais malade.



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Fatimah_Sylla❤️

Je vous aime tous à bientôt 😘


  

Penda La PeulhOù les histoires vivent. Découvrez maintenant