<< Le basilic de ton regard... somptueux >>

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Bonne Lecture 🥰
3015 mots

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Jeudi. Au bord du fleuve, c'était la corvée de linge pour les filles du village. Elles s'y adonnaient avec empressement. Elles n'étaient pas bien nombreuses, car, avec les évènements récents, beaucoup de filles avaient préféré rester chez elles. Elles arrivèrent par petits groupes de trois à quatre personnes, en silence, le regard aux aguets, en suspectant tout sur leur passage et en inspectant de loin les moindres fourrés rencontrés.

_ Heureusement que je ne suis pas la seule. Je ne serais jamais venue sans vous. J'ai trop peur et...

_ Surtout, tais-toi, ne nous fais pas penser à ces choses-là, coupa une des lavandières avec l'approbation de toutes les autres filles qui ne désiraient rien d'autre que de quitter cet endroit au plus vite.

     Une des filles, s'adressant à Seynabou, lui fit remarquer :

_ Tu es bien courageuse, toi, de persister à habiter en dehors du village. Pourquoi ne veux-tu pas changer d'avis ? Il faut être vraiment inconsciente pour rester hors du village.

      Seynabou, de nature timide, eut un sourire au lieu de répondre, car elle savait que les filles, ayant changé de sujet de conversation, les prendraient pour cibles, elle et sa mère, en critiquant leur façon de vivre. Il lui était pénible d'en discuter et elle ne pouvait souffrir que sa mère fût l'objet de leurs moqueries.
     N'ayant vécue depuis l'enfance seulement qu'avec sa mère, elle n'avait jamais pu entretenir une conversation un peu suivie sans se sentir maladroite et ridicule. Ses réponses, quoique toujours polies, étaient sèches et lapidaires en dépit de ses grands efforts pour communiquer avec les autres. Son goût de solitude, sa réserve et sa grande timidité aidant, elle n'avait aucune amie. Elle savait que les jeunes du villages la trouvaient sauvage et même antipathique, ce dont elle se moquait royalement. Seulement, elle était bien peinée de sentir que les filles de son âge se gaussaient franchement d'elles et n'hésitaient pas à afficher à son endroit un mépris à peine déguisé.

    Elle trouvait une telle attitude non seulement injustifiée mais injuste. Leur insolence à son égard la blessait beaucoup. Pourtant elle n'avait rien à leur envier. Leur suffisance, pense-t-elle, n'était au fond qu'empruntée et traduisait une méchanceté qu'elle ne comprenait pas. Sa faiblesse avait beaucoup encouragé cet état de fait, cela Seynabou le savait. Plus d'une fois, elle avait voulu réagir, mais sa timidité naturelle avait pris le dessus. Une chose était certaine cependant : elle ne leur enviait rien du tout. Si. Peut-être bien une chose. Une seule chose : leur gaieté.

     Seynabou se sentait triste à mourir, renfermée et terriblement gênée devant les gens. Elle aurait voulu être plus expansive, plus gaie et joyeuse. Elle leur enviait cette faculté-là qu'elles avaient de pouvoir jouer simplement en toute candeur et de pouvoir, sans aucune contrainte, profiter des bons moments de la vie avec celle naïveté expansive qu'il semblait si difficile pour Seynabou de manifester.

       Seynabou ne s'amusait jamais. Tout était pour elle devoir, encore devoir et toujours devoir, ce dont, du reste, elle s'acquittait courageusement, avec beaucoup d'abnégation même. Mais, pouvait-on, quand on était jeune fille comme elle, en âge de goûter aux délices de l'amour, belle et désirable de surcroît, ne vivre que dans cette idée-là ? Sans être malheureuse, elle aurait pu être plus heureuse. Mais cela lui était-il possible ? Elle pensa à Doudou le forgeron, à ses visites, à sa proposition, à cette aventure qu'ils eurent ensemble sans l'avoir cherchée, et cela lui réchauffa grandement le cœur de savoir que quelqu'un dans ce village l'aimait plus que tout au monde.

     Que représentait le forgeron pour elle ? Elle ne le savait pas et ne cherchait pas à le savoir, mais elle se contentait simplement d'être aimée et de recueillir dans le regard de cet homme une flamme où elle seule brillait. Elle savait aussi, elle s'en rappelait, que l'espoir est le pain des pauvres. Elle avait compris que le forgeron et elle avaient et vivaient la même pauvreté et qu'il leur fallait l'espoir. Doudou avait besoin d'elle et elle de Doudou. C'était tout ce qui comptait pour elle et rien d'autre.

Penda La PeulhOù les histoires vivent. Découvrez maintenant