Les lavandières

1.7K 109 19
                                    

Bonne Lecture 😘
_______________________

Les jeunes filles du village de Kër Maam Rab, comme tous les jeudis matins, se retrouvaient au bord du fleuve pour laver le linge sale de la semaine. En guise de linge sale, ce n'était pas seulement celui qu'elles venaient laver au fleuve qui les occupait, car quand leurs langues acérées s'en mêlaient, pareilles à des fusées, tout le village était embarqué.
On apprenait ainsi que le chef du village, Souleymane Diagne, malgré l'importance qu'il se donnait et ses airs de tyran sûr et fier, n'était en somme qu'un mari faible que sa femme, dit-on, trompait et menait par le bout du nez ; le Mauritanien Aïdara, venu s'installer au village depuis peu, aurait des mœurs bizarre ; le forgeron Doudou, veuf depuis six longues années, aurait du Béguin pour Seynabou, la fille de La Folle qui logeait à l'entrée du village.
Personne n'était épargnée, ni Mactar le bijoutier, ni sa femme, ni même le marabout qui présidait toutes les prières de l'unique mosquée du village. Quand le train des langues des lavandières se mettait sur les rails, tout le village était embarqué.
Le sujet qui les intéressait aujourd'hui portait sur la marchande de lait nouvellement venue, de cette << étrangère Peulh>> qui s'était installée aux abords du fleuve, bien à l'écart du village.
Elle était là une semaine à peine !

_ Il paraît qu'elle est orpheline.

_ Personne ne la connaît dans notre village, alors vraiment ce que l'on dit...

_ Moi, dit une des filles, je sais qu'elle vient d'un village Peulh.

_ Quelle découverte, railla une autre qui ajouta : avec son teint et ses traits, on voit bien quelle est Peulh, mais cela ne suffit pas pour savoir de quel village elle vient ; seulement ce qui m'intéresse moi, ce qui m'étonne plutôt, rectifia la jeune fille, c'est de la voir vivre seule, sans famille, sans mari, sans un homme quelconque, belle comme elle est.

_ En effet, c'est étonnant, admit une autre.

_ Moi je ne serais pas étonnée, en dépit de ses airs vertueux, d'apprendre des choses pas très propres sur son compte.

_ C'est mon avis aussi, ajouta péremptoirement une autre qui précisa : Ce n'est pas normal qu'elle soit si sérieuse, belle comme elle l'est. Méfions-nous de l'eau qui dort, la saleté est dessous. Et on s'y connaît en matière de saleté, n'est-ce pas ??

La réflexion que la jeune fille ponctua d'une voix sonore et d'un geste entendu provoqua le rire de ses amies.

_ Elle semble pourtant si gentille et si serviable. Depuis qu'elle est là, une semaine à peine, avez-vous remarqué combien nos maris aiment le lait ? Comme ils adorent boire son lait ! Méfiez-vous donc et attention à vos maris, mes sœurs !

Celle qui venait de s'exprimer paraissait contente d'avoir engagé la discussion sur ce terrain-là, en se réjouissant d'avance des réactions que ses propos ne manqueraient pas de susciter.

_ Moi, mon mari, je le surveille, mais je ne peux empêcher tout de même qu'il boive du lait.

_ Il faut alors le lui acheter toi-même et éviter qu'il ait tout contact avec la Peulh.

_ C'est bien ce que je fais, crois-moi, répondit la jeune femme.

Elles admirent, en dépit de la jalousie qui les minait, que le lait de la Peulh était délicieux, bien crémeux et onctueux à souhait.
Elles reconnurent aussi que la Peulh était propre, soigneuse et très bien faite, toutes qualités qui, admirèrent-elles, étaient source de réels dangers et de menaces pour ces époux si fragiles et tellement impressionnable. << Oui au lait, non à la Laitière ! >> Voilà ce que tout le monde semblait dire.

_ Tiens, la voilà qui arrive !

La jeune Peulh, un baluchon à la main, la taille fine et la démarche légère, presque sautillante, s'approcha du groupe des lavandières qui s'étaient tue en la voyant venir.

_ Bonjour ! Avez-vous la paix, salua la Peulh ?

Elles la regardaient, silencieuse, sans répondre à son salut. Si la Peulh pouvait deviner leurs pensées en ce moment précis, elle saurait combien ces lavandières étaient tenaillées par une intense et tenace jalousie. Elles considéraient comme une injustice que tant de beauté et de grâce purent être réunies en une seule personne ; une telle beauté, c'en était presque insolent.

_ Bonjour ! Répéta la Peulh qui fit comme si de rien n'était, ignorant leur dédain. Elle avait répété son salut avec la même candide douceur, avec le même ton égal et serein.

Surmontant leur jalousie, les femmes répondirent au salut, un peu gênées tout de même par la naïve politesse de la Peulh. La conversation ne tarda pas à s'engager.

_ Est-ce que tu te plais dans notre village, demande-t-on à la jeune fille ?

_ Beaucoup. Je trouve le pays beau et les gens si gentils.

_ Eux trouvent ton lait très bon, si bon qu'ils n'en boivent plus d'autres. Les hommes surtout.

La Peulh, qui ne devinait pas l'ironie ou qui ne semblait pas y prêter attention, répondit :

_ Je suis très flattée. Vendre du lait est un vrai plaisir pour moi. Je consacre beaucoup de temps pour avoir le meilleur lait possible ; alors si l'on apprécie mon lait, cela ne peut que me faire plaisir et m'encourager.

_ Il paraît que tu vis seule.

_ Oui, c'est vrai, répondit la Peulh. Pensive.

_ Comment fais-tu pour tout faire toute seule, avec tes vaches, tes chèvres , ton lait et les travaux domestiques ?

_ Il suffit d'un peu de courage ; ce n'est pas beaucoup et cela m'occupe bien. Travailler ne m'a jamais fait peur.

_ Mais, tu sais, il n'y a pas que le travail dans la vie d'une jeune femme. Il y faut autre chose, tu ne crois pas ?

_ Je sais bien... Mais pour le moment le travail me suffit, répondit Penda, sur un ton neutre.

_ Eh, bien ! Toi, tu nous caches quelque chose. Comment ?
Tu n'as donc pas envie d'un homme pour tes longues nuits, demanda en riant une des lavandières ?

Les femmes se mirent à rire bruyamment. Penda demeura imperturbable. Elle baissa le regard et d'un mouvement vif de la tête répondit non, en précisant, la tête toujours baissée :

_ J'ai tout ce qu'il me faut.

_ Comment tout ce qu'il te faut ? Explique-nous.

Penda se tut. Elle ne voulut point en dire plus, en dépit de l'insistance des lavandières. Toute à son linge, elle resta silencieuse durant toute la conversation qui avait fini par dévier sur d'autres sujets. Avant de partir, une des femmes, en prenant à témoins ses amies, lança à l'adresse de Penda :

_ Ne trouvez-vous que c'est trop beau pour être honnête une jolie fille qui vit seule sans aucun homme ? Moi, je trouve cela fort louche.

Quelques approbations accompagnées de rires étouffés se fient entendre ; mais Penda avait décidé de se taire. Ce qu'elle fit.

Quand toutes les femmes partirent, après avoir vérifié qu'elle était bien seule et que personne ne pouvait la voir, Penda défit son pagne et s'engouffra dans le fleuve. Elle y fit quelques brasses avant de remonter pour s'allonger toute nue sur la berge, en fredonnant une vieille romance Peulh.







Comment vous trouverez mon histoire ?

J'espère que ça vous plairez.

N'oubliez pas de commenter et voter⭐

A bientôt, je vous aime tous ❤️

Bisousssssss💋💋

Penda La PeulhOù les histoires vivent. Découvrez maintenant