Chapitre 7 - Le rouge

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Felix, lui, était de ceux qu'on parvient difficilement à oublier.

C'est le plein été à Busan. La chaleur est insoutenable pourtant me voilà au beau milieu de la ville à fondre lentement d'excitation. J'attends le bus qui m'emmène jusqu'à mes cours d'été d'esthétique, impatiente. Pas que je trépigne de jouer de mes pinceaux, je commence à y être habituée mais j'ai hâte de retrouver mon bel inconnu.

La dernière année n'a pas été de tout repos. Ma philosophie était la suivante, après que Minho a emporté avec lui mes derniers souvenirs nostalgiques : tout plaquer et recommencer mais en mieux. C'est ce que j'ai fait. Après tout, on m'a demandé de grandir. J'ai quitté la fac et je me suis inscrite à la formation d'esthétique pour un rattrapage estival. C'était ça ou se jeter du haut d'un pont alors mes parents n'ont pas fait les fines bouches. J'ai fait des pieds et des mains pour décrocher ces cours d'étés et je ne regrette pas. Au-delà de la coquetterie je prends réellement plaisir à me maquiller, à trouver de nouvelles astuces et à essayer de nouveaux produits. J'ai appris les bases sur internet, merci YouTube. Mais je pense avoir le niveau pour me lancer plus loin. Je crois en moi et ma professeure est très encourageante.

Sans doute parce que mes inspirations de croquis sont tout à fait délicieuses mais je ne peux pas la blâmer de baver sur mes dessins. Moi-même, je suis obligée de m'essuyer à chaque fois que je finis un travail. La faute au modèle, aussi.

Le bus pointe le bout de son nez et je monte dedans en ignorant les battements affolés de mon cœur. Est-ce qu'il est là ? Je montre ma carte au conducteur avant de m'avancer vers le fond mais ce malotru n'attend pas que je sois assise et démarre en trombe. Je me retrouve projetée en arrière et sauvée in-extremis par un bras qui émerge d'entre les sièges.

Wow, je crois que suis aveuglée.

C'est lui ! J'ai envie de crier mais je prends sur moi pour faire bonne figure alors que l'homme me pousse à m'asseoir face à lui. Je vais mourir d'excitation. Je n'ai jamais été aussi proche de ma muse. Je me mets à transpirer et j'espère qu'aucune odeur désagréable ne s'échappe de mes aisselles.

Il passe une main dans ses cheveux décolorés qui subliment son teint couvert de tâches de son puis il m'offre un sourire éblouissant. Ce n'est pas humain d'être aussi divin. Je n'ai jamais rencontré de beauté pareille avant lui.

Mes carnets de croquis pressés contre mon buste, je m'incline respectueusement et souffle timidement :

- Merci.

Il hoche la tête. Je sais qu'il ne m'a pas entendu, ses écouteurs sont vissés dans ses oreilles et la musique est jouée à fond. Il écoute du The Weeknd à fond et je ne peux pas le lui reprocher, ça parfait juste le tableau de son excellence. Sa tête bascule en arrière, mettant à jour sa pomme d'Adam proéminente puis il ferme ses yeux pour retrouver le sommeil. C'est comme ça que je l'ai presque toujours vu. Endormi, paisible et totalement irréel.

Je tire mon croquis de dessous mon bras, un peu tremblante. Mais j'aime prendre des risques, vivre dangereusement. Il n'ouvre jamais les yeux avant le terminus, de toute façon. De près, je peux voir le nom qui est inscrit sur le badge de son uniforme de serveur. Felix. Je le dévisage, heureuse de le savoir endormi. Ce nom lui colle à la peau. Il est parfait de A à Z.

Je tourne mon croquis et dévoile sous mes yeux le visage aux yeux clos de l'homme qui me fait face mais dessiné par mes soins. Je ne peux pas m'empêcher de sourire quand je les compare. Je suis de plus en plus douée. Si seulement la professeure pouvait constater à quel point le dessin est fidèle.

Je relève les yeux vers lui. Mon parfait petit cobaye. Puis j'attrape le matériel qui attend sagement dans mon sac et commence à gribouiller, ajouter des couleurs et des textures. Je laisse mon imagination m'emporter et je suis tellement impliquée que je n'entends pas tout de suite la sonnerie de téléphone qui provient d'en face.

- Felix à l'appareil, j'écoute ?

Je sursaute. Autant parce que sa voix est grave et suave et qu'elle déclenche une salve de frissons sur ma peau que parce que je tiens entre mes doigts un croquis des plus compromettant, face à lui. J'essaie de replier la feuille vers moi mais il se penche, les écouteurs toujours sur les oreilles mais les yeux bien ouverts, me sondant jusqu'à l'âme. Je rougis. J'ai envie de m'enterrer six pieds sous terre.

Il m'arrache la feuille des mains et je bégaie mais il m'intime de me taire en plaçant son doigt sur ses lèvres parfaites. Il me fait signe qu'il est toujours en appel. Je bougonne mais renonce à récupérer le papier. Il faut que j'assume. Quelque part, je suis en tort.

- Pas de soucis, je serai là demain sans faute.

Il attend un instant puis retire ses écouteurs et les range dans son sac, sans jamais me rendre mon travail. Il se racle la gorge en le regardant. Puis en me regardant.

- Est-ce que je dois appeler la police ?

Sa voix me transperce. Je secoue brusquement la tête. J'ai déjà assez de problèmes à gérer, je veux éviter une plainte pour harcèlement en plus de tout le reste. J'essaie de reprendre ma feuille mais il la lève hors de ma portée.

- C'est à moi ! Rend-là moi !

- Mais c'est moi, donc techniquement, c'est à moi.

- J'en ai besoin pour...

- Pour ? Insiste-t-il. Tu vas la vendre à tes copines ? Pourquoi est-ce que tu me maquilles, d'ailleurs ?

Je tente à nouveau de lui arracher la feuille mais dans un faux mouvement, mes autres croquis s'échappent de ma chemise et se répandent à nos pieds. Ça y est, je suis une cause perdue. Il s'esclaffe en voyant son visage sur chacun d'entre eux.

- Je dois m'inquiéter ? Tu fais ça depuis quand ?

- Je peux t'expliquer, je dis en ramassant le tas de papier.

- Oui, j'attends.

Il est amusé par la panique qu'il décèle dans mon regard.

- Je suis maquilleuse.

- Et...

- Euh, tu es mon modèle ? Non-consenti ? J'ajoute avec une petite voix.

- Ah ! Un peu comme une muse ? J'aime l'idée.

Un petit silence s'installe tandis qu'il garde la feuille entre ses mains. Je me penche timidement et lui demande :

- Tu ne vas pas appeler la police, hein ? Ou porter plainte ?

A nouveau, il se tord de rire. Puis il insère mon croquis dans son sac sous ma mine stupéfaite. J'ai besoin de ce croquis pour ma note du jour mais je n'ose pas le lui reprendre. Après tout, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même.

- Non, mais dans le doute, je garde ça pour preuve.

- J'en ai besoin...

- Tututut, je ne veux pas le savoir. Ça t'apprendra, puis, tu en as des tas d'autres pour te consoler. Au moins, je suis sûr que tu n'es pas près d'oublier mon visage.

Je me sens bouillir. D'envie. Le bus s'arrête au terminus et nous échangeons un regard intense avant de nous redresser. Le grand blond se penche vers moi, me bloquant l'accès au couloir puis me susurre de sa voix si particulière :

- Entre nous, le rouge me va mieux que le rose.

Je crois que j'ai mouillé ma culotte. Je le regarde descendre en soupirant de désir. Je ne sais pas comment je vais me débrouiller pour expliquer ça à ma professeure mais au moins, j'ai trouvé ma nouvelle couleur préférée. J'ai déjà hâte de peindre ses lèvres en rouge sur mes prochains croquis. Je glousse et descend sous le regard curieux du conducteur. Je retire tout ce que j'ai dit à propos de lui, cet homme est un saint.

Le lendemain, Felix n'était plus là.

8 Mélancolies 《 STRAY KIDS 》Où les histoires vivent. Découvrez maintenant