L'invitation

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Hazel n'avait pas réussi à se rendormir après sa rencontre avec le comte. Quelque chose l'avait remué. Et le soleil n'avait pas eut le temps de se coucher entièrement que sa mère était déjà en train de le presser pour trouver une tenue à mettre. C'était acté, il y allait, car Madame Kleth ne voulait pas décevoir Vladislav, même si exhiber ainsi son fils la couvrait de honte et elle ne s'était pas privée de le répéter au moins une dizaine de fois. Jamais Hazel n'avait eut le droit de se rendre à des évènements si importants, ce qui expliquait son manque de tenue appropriée.

C'est une tenue noire très simple que sa mère lui choisit, et Hazel n'eut pas son mot à dire. Il fallait le fondre dans la foule, taire son existence, le rendre décoratif. Une chemise noire et un pantalon de costume faisait très bien l'affaire, avec juste une petite rose blanche sur le pectoral pour au moins avoir l'air distingué. Ses cheveux blonds et noirs attiraient assez l'attention comme ça, s'était plainte Madame Kleth.

On conduit le jeune blond à 20h et quart au manoir. Il regarda la voiture s'éloigner dans l'allée, le laissant seul dehors pour l'une des rares fois de sa vie. Pas même un majordome ne l'accompagnait.
Le manoir n'était pas à l'image de Vladislav. Il était très simple, dans un style gothique typique. Ce qui l'étonna surtout, c'est le nombre de voitures déjà garées. Les domestiques, se dit-il en s'avançant vers la porte, non sans avoir profité une minute d'être seul dehors. Devant elle, il écouta un instant. Pas un bruit. Il frappa alors deux coups.
Pas de réponse.
Il attendit quelques secondes puis entama de frapper trois fois de plus, mais au deuxième coup, la porte s'ouvrit en grand.
Personne.

La porte semblait s'être ouverte d'elle même, comme agacée des coups qui l'ont martelée. Finalement, cette maison ressemblait bien à son propriétaire, son sang s'était glacé.

Devant lui, un large couloir. Les murs étaient peints de violet, de noir et de détails dorés, mais le jeune blond n'eut pas le temps de s'attarder sur la décoration. Au bout, une place qui menait à des escaliers, comme une salle de bal, marbrée en blanc et or. Il y avait déjà des invités, réunis en demi cercle, qui lui tournaient le dos. Tous se retournèrent vers lui, presque en même temps.
Hazel fut horrifié de tous ces regards sur lui, et surtout, de l'odeur du manoir. S'il avait ressenti une aura étrange autour de Vladislav, la bâtisse en était imprégnée. Son instinct de survie lui hurla de faire demi tour, de retourner chez les Kleth en courant s'il le faut, mais une menace bien plus grande l'attendait s'il venait à fuir : sa mère.
Le couloir, pourtant court, lui sembla durer à l'infini quand il s'avança dans la salle. Les invités, au moins une vingtaine, se questionnait du regard ou chuchotait entre eux. Hazel fut agacé ; oui, c'était certainement la première fois que tout le monde ici le voyait, mais ça ne méritait pas autant d'attention. Il s'avança la boule au ventre, prenant bien soin de se mettre sur le côté du demi cercle, même s'il n'avait aucune idée de pourquoi tout le monde était rassemblé. Devant eux, il n'y avait qu'un drôle de tapis. Violet et doré comme les tons du manoir, avec quelques broderies qu'il n'arrivait pas à distinguer. Son attention se porta ensuite sur les bougies luxueuses posées à côté, dans des bougeoirs en cristal qui diffusaient magnifiquement la lumière. Le blond n'eut pas le temps de les admirer plus longuement que la porte centrale d'où menait l'immense escalier marbré s'ouvrit.

Le Comte Esgreaves se présenta en haut. Il n'avait pas manqué l'occasion de sortir ses pièces favorites, puisque qu'il portait une jupe longue rouge foncée, en velours, avec des détails discrets de dentelle noire sur les bords. Avec, un haut à lacets blancs ouvert sur les clavicules. Par dessus, un veston noir, ouvert aussi, d'où pendaient des petites chaînettes dorées. Comment faisait-il pour rester aussi masculin avec une tenue pareille, se demandait Hazel. Il ne pouvait pas nier les charmes du Comte, aussi étrange avait-il été avec lui.

Vladislav, lui, adorait toute cette attention sur lui. Il affichait un sourire satisfait, en descendant les escaliers sans se presser, voulant rester le plus possible le centre du divertissement.
Derrière, Yugo, resté en haut, attendait avec une boîte dans la main.

- Mesdames, Messieurs, les Esgreaves sont honorés de vous voir ici pour la cérémonie de ma défunte tante, Aya Esgreaves. Elle n'avait ni mari ni épouse ni enfant, ce qui fait de moi son plus proche parent et le seul à qui elle a pu donner le Droit de Deuil avant de succomber. Et j'invoque ce droit de deuil, ce soir même, pour la réunification de la famille Esgreaves et en sa mémoire. Pour remercier la femme qui m'a élevée, je lui offre de vivre, à travers moi, les décennies supplémentaires qu'elle mérite.

Tout était si bien orchestré que le discours de Vladislav s'acheva une fois qu'il eût descendu l'escalier complètement, et les lumières s'éteignirent en même temps pour que la seule source d'éclairage soit diffusée par les bougies. Le lord s'agenouilla sur le tapis, qui ressemblait plutôt à un tapis de prière, et Yugo entama de descendre l'escalier. Moins comédien que son maître, mais tout aussi distingué. Il portait toujours avec lui un petit coffret.

Hazel assista à la scène en fronçant les sourcils. Il avait l'impression d'être au milieu d'une secte. Était-ce cela, la bourgeoisie ? Le monde extérieur ? De quoi parlait Vladislav en parlant de réunification ?

Yugo donna le coffret à Vladislav, qui le positionna devant lui avec soin et délicatesse. Il semblait précieux. C'était un coffret assortit au tapis, très distingué également.
Hazel commença à se détendre un petit peu, finalement intrigué par le spectacle et le contenu de la boîte. Vladisav enclencha l'ouverture avec son pouce, et celle-ci s'ouvrit.
Au début, Hazel ne vit rien. C'était une masse sombre impossible à discerner. C'est quand la main du Comte plongea dedans et sortit entièrement son contenu qu'il comprit.
Et la réalisation lui fit comme un coup dans le ventre.

Un coeur.
Il y avait, dans les mains manucurées du comte Esgreaves, un coeur humain entier, baignant dans son jus. Le liquide rouge coulait entre ses doigts pâles, roulaient jusqu'à ses manches, déjà tachées. Et comme si cette scène d'horreur ne suffisait pas, Vladislav le ramena à sa bouche en déchira une bouchée.

Surtout reste beauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant