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Plus par surprise que par peur, ses épaules tressautent doucement contre le dossier de son fauteuil roulant, et ses doigts s'agrippent instinctivement aux mains courantes de ses roues, serrant l'acier pour se stopper dans son mouvement. 
La mâchoire contractée, contrarié d'avoir été interrompu et gêné de s'être fait prendre en flagrant délit de faiblesse, il cligne frénétiquement des paupières en avalant péniblement la salive pâteuse de sa bouche. 
Dans sa poitrine, son rythme cardiaque accélère subitement, comme s'il prenait seulement la mesure de ce qu'il s'apprêtait à faire, désormais conscient qu'un regard l'observe dans son dos. 
La voix qui vient de l'interpeller, mélange de notes de graves et d'aiguës, semble ne lui rappeler personne sur le moment et, baissant le front en plissant les sourcils, il cherche le courage de tourner la tête dans sa direction pour en identifier le propriétaire. 

La honte le grignote tout à coup, songeant qu'un témoin inconnu l'a vu faire rouler son fauteuil jusqu'à la lisière de la première marche, et les vagues résidus de sa fierté terminent de s'émietter dans son ventre comme un tas de cendres au bout d'un mégot de cigarette.
Le malaise pendu à ses lèvres, il ouvre la bouche sans qu'aucun mot ne parvienne à franchir la barrière de sa gorge nouée, et son regard se porte sur la descende dangereuse des escaliers devant lui. 
Semblant réapparaitre de nul part, le vent souffle à nouveau dans ses cheveux, aussi discret que la caresse d'une plume, et sa respiration se fait plus bruyante, agitée par un tout nouveau stress. 

Derrière lui, il perçoit finalement un mouvement frêle, un froissement de tissu puis quelques pas silencieux, et il devine les déplacements de son témoin dans son dos, se rapprochant de lui jusqu'à atteindre le sommet des escaliers à son tour. 
Sans voir son visage, les yeux toujours rivés sur le vide à ses pieds, il distingue ses jambes dans sa vision périphérique, alors que le visiteur descend sur la deuxième marche pour s'assoir sur le béton. 
L'inconnu s'abaisse pour s'installer à même le sol, et le cliquetis d'un briquet résonne dans l'air en même temps qu'il semble soupirer de lassitude, peut-être ennuyé par la situation ou par cette soirée trop bruyante. 

_ Qui t'a fait monter en haut de ses marches ? souffle t-il en portant machinalement une cigarette à sa bouche, la fumée se répandant doucement entre eux. 

Le timbre de ses mots ne lui inspire toujours aucune connaissance, mais il vibre d'un ton apaisé, presque indifférent mais dénué de toute forme d'agressivité. 
Lentement, Katsuki redresse sa nuque sans cesser de fixer l'horizon qui se profile en face de lui, et son torse se détend à mesure qu'il lève la tête, dévoilant entièrement son visage en osant un coup d'oeil à l'inconnu. 

_ C'est quoi cette question ? lance t-il en faisant siffler l'air entre ses dents, incrédule et passablement perplexe.  

_ J'imagine que c'est tes potes qui t'ont porté jusqu'en haut. Ils vont se dire quoi quand ils te retrouveront en bas à ton avis ? Tu vas leur laisser penser qu'ils sont responsables ? 

Pour dire vrai, Katsuki se fout pas mal de ce qu'il peut laisser croire dans ses silences et ses absences, son cœur lui fait déjà suffisamment mal avec ses propres démons, y ajouter ceux des autres ne lui parait aucunement utile. 
Aussi sensé soit son résonnement, la réflexion de son visiteur frôle à peine sa poitrine, et il s'autorise même à arquer un sourcil en tournant enfin son attention vers lui, cherchant son visage pour l'analyser. 

_ Tu crois que j'en ai quelque chose à foutre ? 

Seulement maintenant, il prend le temps de découvrir son apparence, baissant les yeux pour observer ses traits de profil, révélés par la lumière timide des étoiles accrochées au dessus d'eux. 
Sur sa marche, l'inconnu dévoile un visage relativement fin pour un homme, tracé sur les courbes légèrement arrondies de sa mâchoire et, sur sa peau pâle, une colonie de tâches de rousseur investit ses joues, débordant sur son nez, puis vers ses tempes. 
De là où il se trouve, et avec l'éclairage offert par la maison derrière eux, il distingue le vert de ses iris, leur couleur doucement étouffée par la semi pénombre qui les entoure. 

Breαthe meOù les histoires vivent. Découvrez maintenant