Chapitre 1

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Lizzie se tenait dans la nuit froide et mordante du mois de novembre. Bien qu'elle ne ressente pas la morsure du vent glacé, elle frissonnait. Elle porta la cigarette à ses lèvres teintées de rouge et inspira une bouffée. Non pas que ça lui fasse particulièrement du bien mais elle avait toujours trouvé ça très distingué de fumer. Elle s'en grillait donc une à chaque fois qu'elle en avait l'occasion, c'est-à-dire quatre ou cinq fois par nuit. La jeune femme faisait claquer ses talons hauts en plastique transparent contre l'asphalte, traduisant son impatience. Elle avait faim. Et elle n'avait plus de liquide sur elle... Aussi bien dans son estomac que dans son porte-monnaie d'ailleurs. La nuit était déjà bien entamée et les passants se faisaient de plus en plus rares dans cette partie de la ville.

– Ce... C'est combien ?

Elle se retourna, un petit homme se tenait près d'elle. L'air inquiet, une calvitie naissante. Le genre même du type qui a dit à sa femme qu'il finirait tard le soir au boulot pour aller au strip-club. Tout à fait le genre de type avec une petite vie bien rangée et deux ou trois gosses à charge. Ça sera facile.

– Tu as combien sur toi mon grand ?

– J'ai heu... 250 euros... Est-ce que... ça suffira ?

– C'est parfait, donne-moi 100 euros pour commencer et suis-moi, je te ferai ce que tu veux.

Le petit homme fouilla nerveusement dans sa poche et en sortit un petit portefeuille en cuir noir. Il l'ouvrit et sortit fébrilement deux billets de cinquante euros qu'il tendit à Lizzie. Elle les prit et les mit dans son corsage en vinyle noir.

– Suis-moi mon grand, on va se faire ça dans un petit coin tranquille. Susurra-t-elle.

Elle se mit en marche et le petit homme lui emboîta le pas. Tandis qu'elle avançait elle sentait le regard de l'homme qui se posait sur ses jambes entourées de résilles pour finalement se poser sur ses fesses que l'on devinait facilement sous sa jupe en simili cuir. Elle sentit son ventre gargouiller. Puis ces gargouillis devinrent des spasmes. Elle luttait pour garder le contrôle. Ne pas laisser sa faim prendre le dessus.

– Il... Il fait pas chaud hein ? Dit l'homme.

Elle avait depuis longtemps oublié les notions de froid, de chaleur, de la brise en été, ou de l'odeur du magnolia en fleur... Elle soupira. Stupide mélancolie du siècle qui l'avait vue naître.

– Et heu... Le rouge c'est joli sur vous, c'est quoi votre vraie couleur de cheveux ?

Elle ne répondit pas. Elle s'arrêta au début de l'allée qui se trouvait à l'arrière d'une boîte de nuit, en plein cœur de la ville.

– On y est mon lapin, donne-moi ce qui te reste de monnaie maintenant et je m'occupe de toi, ok ?

L'homme ne se fit pas prier. Elle savait que sa condition permettait de faire plier les esprits les plus faibles. Il lui aurait même donné ses fringues si elle le lui avait demandé. Une fois l'argent empoché, elle s'enfonça au fin fond de la sombre allée et s'assit sur un des containers poubelles qui la peuplaient. Elle ouvrit la fermeture éclair qui faisait la longueur de sa jupe et enserra l'homme entre ses jambes. Elle avait déjà fait ça, ces poubelles étaient assez basses pour permettre à ses « clients » d'être à sa hauteur. L'homme transpirait à grosses gouttes malgré la température extérieure. Elle détestait ça. Elle allait faire en sorte que ça se passe vite. Et puis la faim la tenaillait tellement. Oui, ça irait très vite.

Il commença à défaire sa braguette et à saisir fébrilement son membre. Lizzie l'attira contre elle avec force. Ses jambes l'enserraient davantage. Elle mit ses bras autour de ses épaules pour l'enlacer. Elle sentait que l'homme la cherchait entre ses jambes. Mais là elle n'en avait pas envie. Autant quelques fois elle en avait tiré du plaisir mais cet homme n'éveillait en elle aucun désir. Faisant mine de l'embrasser elle porta alors ses lèvres contre son cou qui empestait l'after-shave. Elle sentit la respiration haletante de l'homme, ainsi que son souffle chaud avec des relents de sandwich bon marché, elle entendait battre son pouls... C'en était trop. Elle mordit. La surprise de l'homme fut telle qu'il ne cria même pas. Il essaya vainement de se débattre, mais Lizzie avec ses éternels 25 ans était bien trop forte. Le sang coulait chaud et sucré sur sa langue, dans sa bouche, son œsophage, son estomac... Touchée par la grâce elle oublia presque de s'arrêter à temps. Un couple en train de se bécoter ouvrit la porte arrière du club. 

Lizzie continua d'étreindre l'homme, ne laissant rien paraître, elle avait l'habitude. Le couple passa à côté d'elle en rigolant, visiblement un peu saouls, pour s'éloigner dans la rue. La jeune femme laissa choir l'homme au sol. Il n'était pas mort. Elle faisait toujours attention à ne pas tuer ses proies. Par les temps qui courent, il est inutile de laisser un chemin de cadavres qui pourraient la mener jusqu'à elle. Et puis le Conseil des Vampires l'interdisait formellement, à quelques exceptions près. Une liste de clauses à remplir longue comme le bras. C'était bien plus simple avant, se dit-elle. Revigorée, elle ouvrit le container et y hissa l'homme. Il se réveillerait demain faiblard, groggy, sans son pantalon et sans argent. Tout penaud qu'il sera, il n'osera même pas se rendre à la police, jamais il n'oserait avouer pourquoi il s'était retrouvé dans une telle situation. 

C'était comme ça qu'elle fonctionnait, quand la faim était trop grande et que l'argent manquait. Le jour ne se levait pas encore, mais elle n'aurait pas le temps de faire une halte à la banque du sang ce soir, ou à défaut à la boucherie, pour acheter une ou deux poches bien remplies pour regarnir son frigo. Elle irait demain soir. Vous vous dites peut-être : « à cette heure-ci ? ». Vous n'imaginez même pas l'argent que se font ces corps de métier concernant la revente du sang aux vampires. Il y a toujours une permanence dans chaque ville, même les plus modestes.

La jeune vampire se hâta donc de rentrer chez elle, dans son petit studio qui se trouvait au sous-sol d'un grand immeuble du centre-ville. Son propriétaire la connaissait depuis pas mal de temps et il était habitué à louer aux gens de son « espèce ». Elle disposait donc, à quelques exceptions près, de tout le confort qu'une personne pouvait disposer : un lit, un bureau avec un accès à internet, une table et des chaises, quelques rangements, un réfrigérateur... Mais pas de salle d'eau ou de coin cuisine évidemment ; et bien sûr il n'y avait pas de fenêtres. C'était spartiate mais ça lui convenait parfaitement. En rentrant, elle jeta un coup d'oeil à son ordinateur et elle remarqua une notification sur sa messagerie Skype. Trop fatiguée, elle n'y prêta pas plus attention que ça et se laissa tomber dans son lit. 

De lune et de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant