Chapitre 6

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– Lizzie, vous allez bien ? Vous ne mangez quasiment rien depuis plusieurs jours.

– Laissez votre sœur tranquille Victoria.

– Elle rêve à son amoureux !

– Il suffit Dorothea ! dit Mr Cray en tapant du poing sur la table. 

Cela fit sursauter Elizabeth, son père était pourtant d'un naturel très doux. Il reprit :

– Elizabeth, j'en ai assez de vos soupirs et de vos pleurs ! Vous ne mangez rien et restez enfermée dans le manoir toute la journée, vous demandez cinq fois par jour aux domestiques si une missive est arrivée ! Vous croyez que je ne le sais pas ? Vous allez me faire le plaisir de cesser ce manège puéril ! Maintenant vous mangez !

Même Mrs Cray était bouche-bée devant la colère de son mari. Elizabeth prit sa cuillère en tremblant et porta le potage à sa bouche.

– Peut-être que... Que nous devrions recontacter ce duc, il semblait épris de Lizzie..., dit Mrs Cray.

– Sornettes Margaret ! Ne voyez-vous pas que cet homme est dangereux ? Je le sens, il y a quelque chose qui ne me plaît pas chez lui et ses amis ! Miss Cray, je vous interdis de le revoir, est-ce bien clair ? Tout duc qu'il est, nous vous trouverons un meilleur parti.

– Et si je ne veux pas de meilleur parti ?

Elle avait parlé sans réfléchir et Lizzie regretta amèrement les mots qui s'étaient échappés de ses lèvres. Et c'est en larmes tandis que ses petites sœurs pleuraient de plus belle que son père lui somma de quitter la table à manger, de monter dans sa chambre et de n'en sortir qu'au petit matin. Une fois dans celle-ci elle s'effondra sur le lit. Un mois était passé depuis le bal chez les Stevenson ainsi que sa rencontre avec le duc. Tous les jours elle se levait triste, une boule lui enserrait le cœur, elle n'avait plus goût à rien. Elle savait que cela ne lui ressemblait pas mais qu'y pouvait-elle ? Est-ce donc cela l'amour ? Ce sentiment qui peuplait ses lectures depuis des années ? Combien ce sentiment lui faisait mal ! Elle aurait tellement souhaité être avec l'objet de ses sentiments, de son désir. Comme tous les soirs depuis le bal elle avait du mal à dormir. Elle se remémorait sans cesse cette soirée, et son visage...Ses yeux...

L'horloge du grand hall sonna minuit quand soudain Elizabeth sentit un courant d'air froid souffler sur son lit. Satanée fenêtre, elle avait dû s'ouvrir sous une bourrasque. Elle rejeta ses draps et mit un pied à terre pour se lever. Quand elle regarda en direction de la fenêtre elle retint un cri d'effroi. Il y avait là un homme assis sur le rebord et qui la regardait avec ses grands yeux bleus. Il posa un doigt sur ses lèvres en souriant, lui intimant de garder le silence.

– Cesare ! souffla-t-elle.

L'homme se glissa dans la chambre de Lizzie. Il s'avança vers la jeune femme et la prit par les épaules. Ses mains étaient glacées, mais il faisait froid dehors, cela était compréhensible pour un mois de novembre.

– Douce Elizabeth, depuis que je vous ai vue vous hantez mes pensées. J'ai fait aussi vite que j'ai pu pour venir vous retrouvez.

– Mais comment avez-vous fait pour monter deux étages ? Oh mon Dieu si mon père l'apprend il nous tuera tous les deux, il désapprouve complètement mon inclination à votre égard... Cesare vous ne devriez pas être là... Ce... C'est tout à fait inconvenant !

Les idées se bousculaient dans la tête de Lizzie. Elle était partagée entre la bienséance et son envie de fuir avec cet homme.

– Elizabeth, si je vous disais que vous pourriez vivre toute l'éternité ? Et que vous pourriez passer cette éternité avec moi, que feriez-vous ?

Tout en parlant il laissait ses mains courir le long des bras nus de la jeune femme. Ses mains étaient vraiment très froides pensa-t-elle... Elles auraient pourtant dû se réchauffer. Elle n'avait pas remarqué ce fait lors du bal lorsqu'elle portait ses gants. Elle frissonna. Un frisson entre l'envie et la peur. Elle sentit la boule revenir au fond de son ventre. Elle était seule dans sa chambre avec un homme quasiment inconnu et le lit se trouvait juste derrière eux. Et en même temps elle n'avait pas envie qu'il parte, elle voulait qu'il reste...

– Pour toujours ?

– Oui Lizzie, dit-il en se penchant sur elle.

Son instinct lui dictait le danger, mais sa raison ne lui obéissait pas. Elle le regarda dans les yeux et lui demanda :

– Qu'êtes-vous ?

– Peu importe ce que je suis en réalité Lizzie, je vous propose l'éternité à mes côtés. Un mot de vous et j'exaucerai ce vœu.

D'un coup elle comprit et le rejeta avec toute la force qu'elle avait pour se jeter sur la porte de sa chambre mais le duc était beaucoup plus fort et agile qu'elle et il la plaqua contre le mur avant qu'elle ait pu tenter quoi que ce soit. Elle sentait son corps puissant contre le sien, glacé mais tellement attirant. Son visage était maintenant quasiment collé au sien.

– Vous êtes un démon c'est bien cela, une créature du diable, un suppôt de Satan ? dit-elle dans un murmure terrifié.

– Je suis damné si c'est ce que vous voulez savoir Lizzie mais je ne suis rien de tout cela. Et je vous aime. Je suis né en 1452 en Italie, j'étais un noble admiré avant que l'on fasse de moi ce que je suis. Cela fait bientôt 400 ans que je foule cette terre et je n'avais jamais ressentie une telle passion depuis... Depuis bien longtemps. Je ne mens pas quand je dis vous aimer.

Il prit la main d'Elizabeth, elle se mit à pleurer de dépit.

– Vous êtes une créature de l'enfer... Mais je veux être avec vous oui. Mais vous me demandez de quitter ma famille, mes sœurs, mon père... Oh mon Dieu, mon âme sera damnée !

Il prit sa tête dans ses mains et sécha ses larmes. Ses mains étaient tout de même douces sous ce manteau de glace.

– Lizzie, il n'y a rien pour vous ici. Vous voulez que votre affreuse mère vous trouve un riche bourgeois ? Vous souhaitez qu'il vous engrosse une fois par an et tout cela pour mourir en couches alors que votre enfant sera mort-né ? C'est cela vous vous voulez ? Renoncez à vos rêves ? Car je les connais Lizzie, je peux lire en vous comme dans un livre ouvert. Vous souhaitez voyager, voir le monde, écrire, apprendre, vous avez soif de connaissance, vous sentir exister, être quelqu'un... Ce siècle n'est pas pour vous mon bel amour. Et je peux vous donner tout cela !

– Miss Elizabeth ?! Miss ?! Vous allez bien ?

On tambourinait à la porte de sa chambre et sa domestique, Lucy, fit irruption. Cesare avait disparu.

– Pourquoi êtes-vous hors de votre lit ? Et la fenêtre ouverte qui plus est ! Vous allez attraper la mort miss. Venez vous recoucher. J'ai entendu du bruit, vous parliez seule ? Est-ce que vous vous sentez bien ? Vous êtes rouge !

– Tout... Tout va bien Lucy, je... Je crois que j'ai marché durant mon sommeil.

– Du somnambulisme miss ? Il faudra en avertir votre père.

Elizabeth repensait aux paroles du duc. Avait-il réellement 400 ans ? C'était vraiment insensé et en même temps cela pouvait expliquer bien des choses.

De lune et de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant