CHAPITRE 03

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Le lendemain du jour où j'ai dis à ma grand mère et à ma mère que j'allais intégrer l'armée, j'ai passé la journée avec ma mère en ville pour aller chercher des plantes médicinales. Ma grand-mère était gravement brûlée et souffrait beaucoup. 

On ne parlait pas. Non pas que ma mère fusse très loquace d'ordinaire, mais ce silence là était pesant. Je mourrais d'envie de questionner ma mère, relativement stable depuis la veille, sur les raisons qui l'avaient mise en colère mais je prenais sur moi. Il ne fallait pas risquer de lui faire piquer une crise en pleine rue. 

En passant près de la grande rue, nous vîmes un rassemblement. Malgré son aversion pour la foule, maman me tira vers celle-ci avant de pousser plusieurs personnes et de nous faire passer devant. J'entendis d'abord les sabots des chevaux avant de voir arriver un cortège militaire. Enfin, cortège est un bien grand mot. Il y avait un soldat tirant derrière lui une charrette et un autre qui était sûrement un gradé. 

- Tu vois ça, me dit ma mère, c'est tout ce qui t'attend.

A mesure qu'ils s'approchaient, une odeur insupportable me parvint. Jamais je n'avais ressenti quelque chose de pareil, moi qui déjà avais du mal à supporter l'odeur du poisson frais. La charrette arriva jusqu'à nous et ma mère me poussa devant, me faisant sortir du rang. Je vis alors ce que transportait ce soldat : un tas de cadavre. Comme s'ils étaient venus d'un coup, j'entendis les sanglots étouffés et les cris de déchirement des mères, des soeurs, des femmes et des enfants. Comme si je les avais mis en sourdine ou comme si j'y étais tellement habituée. 

Je me retournai vers ma mère dégoutée et en colère. Je n'étais pas dégoutée par les cadavres et en colère contre l'armée. J'étais dégoutée par son geste envers moi et en colère contre ces fumiers de titans.

- le seul m-moyen pour quitter l'armée, c'est de mourir. Je t'ai p-pas mise au monde pour que tu crèves Blanche, j'ai pas souffert pour que tu c-crèves ! Trouve-toi de quoi gagner un peu de sous, fait-toi des amis, rencontre un garçon et fonde une f-famille. Tu dois v-vivre une vie paisible, une vie paisible, UNE VIE PAISIBLE, p-paisible...

Je ne sus quoi répondre. Pas parce que je n'avais que 11 ans, non, aujourd'hui même je ne saurais quoi répondre. Elle avait cherché ses mots, peu habituée à parler autant. D'ailleurs, on voyait à sa respiration saccadée et à son regard pétrifié qu'elle avait fourni un effort immense pour me dire, à sa façon, qu'elle tenait à moi. 

Je fis alors ce qui me semblait le plus naturel à cet instant. Pour la première et dernière fois, je la serrai dans mes bras. Fort. Parce qu'elle semblait avoir besoin de se calmer et aussi parce qu'elle semblait le vouloir sans y parvenir.

Sur le chemin du retour, nous avions croisé Armand qui nous avait aidées à porter nos courses et nous avait raccompagnées. J'aimais bien Armand. A cette époque, il devait avoir 25 ans. Il était un peu plus jeune que ma mère qui elle en avait 27. Je n'ai jamais trop compris ce qu'il venait faire là, dans notre décor familial bancale mais ça m'était complètement égal car il était gentil avec maman et grand mère Ola. Il prenait aussi soin de moi, comme un père l'aurait fait. Enfin c'est ce que je m'imaginais en tout cas car je n'ai jamais eu de père. Mais Armand me faisait voler dans le ciel, danser sous la pluie, me racontait des histoires et il me prenait dans ses bras au coin du feu lorsque ceux de grand mère étaient occupés à calmer ma mère. 

En plus de ça, Armand était dans l'armée lui. Il faisait partie de la garnison et surveillait les portes et les murs du district. Il prenait son travail très au sérieux. Malheureusement, ça voulait dire qu'il lui arrivait de partir et on le revoyait rarement pas avant deux ou trois semaines au moins. 

⌜Livai x OC⌟ Un Monde de FousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant