C'est dans la cour de récréation que tout à commencer.
Elle était là, assise sur un grand banc. Elle sirotait un petit yaourt sucré qu'elle tenait fermement entre ses frêles mains, comme une enfant triste qui chercherait un réconforte dans ce gout tiède et familier. Blonde et pâle, elle attendait tous les jours que la récréation passe; tantôt sur ce banc, tantôt adossée contre l'unique arbre de la cour. Un jour, elle est venue me voir, et elle m'a dit : « Tu sais que je suis dans la même chorale que toi ». Elle m'avait condamnée à l'aimer dès les premières secondes.
C'est à Santa Maria Di Lota dans le petit village de Miomo que j'ai passé une grande partie de mon enfance. Nous vivions dans une grande maison enfoncée dans la côte. Nous avions vu sur le bleu et sur l'île de Napoléon. C'est ainsi que mon grand frère, ma petite sœur et moi nommions l'île D'Elbe. Aussi loin que je me souvienne la maison était entourée de deux grandes terrasses où nous avions l'habitude de dîner les soirs d'étés.
J'allais à l'école en bus scolaire, il passait tous les matins sur la route du haut. Il fallait, pour y accéder, monter une route très pentue. En hiver, il faisait trop obscur pour se séparer complètement des derniers songes de la nuit. Je marchais alors les mains dans les poches, la tête écrasée sous un bonnet de laine et je pensais. Je pensais ce que pensent les petits enfants lorsqu'ils n'ont rien d'autre à faire. Des choses d'adultes, la vie, l'avenir, la nuit. Les questions arrivent et il ne reste plus qu'à les laisser tomber par terre, on les ramassera demain.
Le jour avait déjà commencé à se lever quand j'arrivais en haut toute essoufflée. Je contemplais alors mon royaume endormi, ma route, mes arbres, mon bleu. J'avais le même sentiment qu'ont les grands de connaître quelque chose de très secret. Mon grand secret à moi c'était de voir tous les matins la nature nue et endormis se dévoiler à l'impudeur de l'aube.
L'arrivée du bus scolaire me tira de ma rêverie. Je n'aimais pas cette mécanique bruyante et sa couleur blanchâtre qui annonçaient le début de mon calvaire matinal. Premièrement parce qu'il m'arrachait tous les matins à mon lit. Mais avant tout parce que le matin, je n'aimais pas les humains. Me confronter si tôt à ces corps encore chauds, qui feignaient d'oublier les abysses de la nuit dans lesquels ils s'étaient blottis quelques heures auparavant, m'était désagréable. Dans ce bus, le matin mes camarades avaient l'air d'hypocrites machines, camouflant l'intimité du matin, en un brouaha/une mécanique sociale matinale. A chaque fois, le même schéma « Bonjour! Ca va ? Tu as bien dormi ? ». Incessant, inlassable qui t'aliène le cerveau jusqu'à te rendre docile.
Apparemment, le matin on oublie tout, même la nuit. On n'en parle plus de la nuit c'est tabou. Alors on redemande, encore, toujours la même chose. Et après le jour c'est encore la nuit, et je n'aime pas la nuit, mais demain c'est le matin, et il y a le bus scolaire.
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Réminiscence
Short StoryRecueil de courts textes sur divers thèmes (le temps, le bonheur, petite enfance, la poésie...)