"Il vous faut laisser chaque impression, chaque germe de sentiment s'accomplir en vous dans l'obscur, l'indicible, l'inconscient, le domaine inaccessible à votre propre intelligence et attendre avec une humilité et une patience profondes l'heure de la naissance d'une nouvelle clarté: cela seul est vivre pour l'art, qu'il s'agisse de comprendre ou de créer." Lettres à un jeune poète, Rilke
" La liberté, dit l'homme. La liberté. Pas d'amis, pas de chaines, pas de reconnaissance. Nu comme Adam." Jean Le Bleu, Jean Giono
Il me semble que je parle dans une caverne
Je suis assise là dans cette salle de classe, c'est la fin de la présentation et mon cœur ne cesse de cogner contre ma poitrine, et mes mains de trembler d'une espèce de mélange d'excitation et de peur.
Vous savez lorsque nous avions parlé de certitude et de raison et qu'à un moment de la discussion vous aviez évoqué l'émotion d'une découverte, d'une désillusion ou d'un apprentissage (après un cours de philosophie ou après l'expérience d'une balade en ville par exemple). Ce sentiment qui s'exprime souvent quelques minutes après la révélation d'abord aveuglante dans sa brutalité, mais qui lorsque nous passons la porte de la salle de cours, s'éveille totalement. Alors, tout semble plus limpide, presque transparent, une table ne semble plus vraiment être une table, une rue, un vélo, un gens, tout et rien en même temps. Les sensations comme décuplées nous retiennent hors du monde. Tout est trop clair, trop précis, les vibrations des sons et le souffle des vents semblent presque pénétrer notre corps au point qu'il ne nous semble voir, non plus les choses, mais leurs essences. Et parfois, il arrive de s'arrêter de marcher pour contempler, et aux plus fous, de sourire. A ce moment-là, rien n'a plus d'importance que cette contemplation. En osmose avec la vie, on semble mourir et vivre en même temps. Peut-être ressentons-nous l'immortalité des essences qui nous entoure ?
Puis la vision parvient à s'adapter à ce nouveau jour. Et la peur d'oublier, nous prend les tripes, alors on mange frénétiquement du chocolat jusqu'à ne plus en pouvoir, on cherche inconsciemment quelque chose pour s'occuper l'esprit, on marche, on tourne en rond, on réalise, on pense, on imagine, ce à quoi va ressembler notre vie maintenant, on adapte nos projets, on met tout à jour.
La présentation de ce soir m'a complètement ébranlée. Il faut que j'aille les voir (les deux étudiantes en philo qui ont fait l'exposé), que je leur parle de ma joie et de ma peine, qu'elles me parlent, encore, et encore de ce livre et de ce bouleversement qu'il a provoqué en elles comme en moi. Peut-être auront-elles des conseils qui me parleront particulièrement ? Il suffit parfois d'une phrase, d'un mot, d'un agencement d'idées originalement composé pour éclairer l'esprit. Je suis presque la dernière dans la pièce, elles sont entrain de ranger leurs affaires en riant de bonheur d'avoir pendant deux heures transmis tant de richesse, d'or, de beauté, et peut être, espèrent-elles avoir semé des graines qui germeront plus tard ou en tout cas un jour dans nos consciences. Je fais un pas, puis un autre, la pièce étant petite j'arrive vite devant elles, et de la manière la plus naturelle possible je leur adresse ces mots teintés de reconnaissance et d'admiration « Merci beaucoup, au revoir. ». Une fois sorti, une petite voix dans ma tête me reprocha ma lâcheté, parfois il y a des pensées qu'il ne faut pas écouter. Peut-être ai-je bien fait, peut-être aurais-je été déçue de notre échange, peut-être le moment, l'atmosphère n'était pas appropriée à ce genre de conversation ? Je regrette parfois de ne pas avoir les bons mots pour exprimer, juste comme il faut, la gratitude qui m'anime. C'est une grande responsabilité je crois que d'être remerciée, ça en effraie certains. Quand les remerciements sont trop profonds, la personne remerciée peut se sentir coupable, et trouver bien naïf ces remerciements.
Le vide d'un deuil
C'est comme ça que ça s'est fini. Dans un bar un homme, puis une femme et un enfant. Une écharpe, la porte s'ouvre, un vent glacial, et plus rien. Il a choisi de ne pas savoir. C'est le vide d'un deuil.
Il l'avait rencontrée en classe préparatoire. Ils étaient jeunes insouciants, ambitieux et heureux. Elle, on disait qu'elle semblait être toujours autre part, en cela elle maintenait un mystère, et le désir. Lui, on l'admirait pour son esprit. Ils avaient vécu deux ans à Paris, à s'aimer intensément. Le choix d'une vie stable et honorable, s'était offerte au garçon.
Elle ne l'a pas vu. Il reconnaît l'écharpe qu'elle porte. Son cœur se serre, elle est là.
Un enfant est accroché à la main de la jeune femme. L'enfant pleure. Elle est occupée. L'enfant se retourne, parcourt la pièce de ses yeux larmoyants. Leurs regards se croisent, l'homme se fige. Un client sort. L'enfant s'arrête de pleurer. Il l'attendait.
En quelques secondes, dans le secret de sa conscience, l'homme fit le don de son histoire et de son passé à l'enfant. L'instant d'après, lorsque la porte s'ouvrit, et qu'un vent glacial parcouru tout le bar, la femme emporta l'enfant et l'enfant la mémoire de son père. Il ne le saura pas, mais en lui sera inscrit la genèse de son existence.
L'homme quant à lui aura choisi de ne pas savoir. Et dans le silence d'une histoire tut, dans le vide d'un corps inhabité, il fit le deuil de son passé. Il est temps, se dit-il. Il finit son café, paya l'addition, et s'engouffra dans le froid glacial de l'hiver.
Merci d'avoir lu !
Prochaine chap la semaine pro ! (ps: je ne suis pas sûr que ça sera la suite de la grande histoire, dsl pour ceux qui l'attendent.)
VOUS LISEZ
Réminiscence
ContoRecueil de courts textes sur divers thèmes (le temps, le bonheur, petite enfance, la poésie...)