Il n'est pas bien drôle mon pécheur, pensa-t-elle. Cela fait un moment qu'elle l'observe, assise sur le sable mouillé de la grande plage, et il ne lui a toujours pas jeté un coup d'œil.
En attendant, elle a imaginé ce qu'il pourrait bien pêcher celui-là. Pas de poissons en tout cas. Mon pêcheur, il pêche des petites lumières, comme des jolies idées ou des gentilles mélodies, parce qu'il en a besoin. Ce n'est pas visqueux, ni mort et ça ne sent pas mauvais au moins. (pause)
C'est tout de même triste, s'est-elle dit. On ne pêche la lumière que dans l'obscurité alors on est seul dans le noir pendant longtemps, quand on est pécheur.
- « Pourquoi pêches-tu alors que tous les autres sont à l'intérieur ? » lui demanda-t-elle, depuis la plage.
- « Parce que c'est beau et vrai.» répondit-il comme s'il s'adressait à la mer et il ajouta « et je ne suis pas vraiment seul, j'attends quelqu'un. ».
Ils ne sont pas commodes ces pêcheurs. Pas un regard, ni un bonjour, si je ne lui parlais pas, ça serait tout comme je n'existerais pas ! Il est aveugle mon pécheur, je crois.
- « Qui attends-tu tout seul comme cela ? »
Soucieux, il répondit en regardant le ciel ;
- « La muse... mais je ne veux pas la chercher ni savoir où elle est parce que j'aurais trop peur de la vexer ou de la mettre en colère. ».
- « Oh, elle doit être bien susceptible votre muse. »
L'homme s'accroupit et d'une main caressa la mer tout en murmurant :
- « Si je la perds, alors ma vie n'aura plus de sens, car c'est elle qui attire la lumière et qui fait de moi ce que je suis. Un pêcheur qui ne saurait pêcher aucun poissons mais qui persisterait à se dire comme tel, n'est à mes yeux plus un orgueilleux qu'un véritable pêcheur. »
Elle se pencha légèrement pour récupérer une épine de pin, et, tout en dessinant des secrets dans le sable, elle fronça les sourcils :
- « Oui mais, et si elle avait décidé de ne pas venir, vous perdriez votre temps à l'attendre ? Pourquoi ne pas rentrer pour voir si vous pouvez être autre chose qu'un pêcheur ? »
- « Elle vient toujours, et puis je n'ai pas besoin d'aller vérifier, parce que c'est trop tard de toute façon. C'est comme les femmes, on y goûte une fois et puis c'est fini, on est condamné à désirer aimer toute sa vie. Je ne pourrais accomplir ce que je suis, si je retourne à l'intérieur. » (pause)
Elle sentit un pincement dans sa poitrine. Elle se leva un peu engourdie et s'approcha de l'eau à son tour pour trouver des coquillages blancs, ses préférés.
- « Moi je pense que c'est vous qui êtes la cause votre existence et je pense qu'elle ne viendra pas si vous l'attendez, car c'est elle qui vous attends. M. Le pêcheur vous êtes un fainéant ! C'est au promeneur qui recherche durement, que revient le droit de contempler l'édelweiss des montagnes. Le pêcheur est pêcheur, seulement tout comme le promeneur, je crois que pour mener une existence de pêcheur il doit exister comme un pêcheur en poursuivant sa quête. Ne soyez donc pas tirailler, tout ne dépend que de vous. »
Le pêcheur avait le front plissé, parce que d'une part il n'en pouvait plus de réfléchir sur ce qu'il devait faire ou ne pas faire, et d'autre part cela faisait deux heures qu'il était sur cette foutue plage tout seul, à observer le ciel, la mer, l'eau mais aucune idée lumineuse n'avait jaillie de son esprit. Cependant, tandis qu'il leva pour la dernière fois la tête vers l'immense amas de nuages gris regorgeant d'eau de pluie, elle se tut un instant et leva elle aussi les yeux pour contempler.
Ses yeux reflétaient le gris du ciel, un gris si pure qu'il semblait faire miroiter la parfaite harmonie des ténèbres et de la lumière. Mais contrairement au pêcheur vous l'aurez compris, la muse n'existe que sous la forme d'une essence divine perdue au fin fond de l'être du pécheur. Elle est un don qui s'accomplit selon sa nature, dans le don au pêcheur, de ce qu'elle ne pourra jamais avoir, une existence.
Alors, lorsqu'elle attrapa la main du pêcheur, de ses magnifiques yeux jaillir de petites gouttelettes nacrées. Elles roulèrent sur ses joues d'enfant en laissant derrière elles de fines trainées lumineuses, comme des étoiles qui tomberaient de la nuit pour créer des mondes. Puis elles heurtèrent le sable mouillé de la plage, ainsi que la conscience du pêcheur, ne laissant au néant précédent l'idée, que la mélodie sourde et silencieuse du vent caressant les dunes, et de la mer chantante.
- « J'attendrai avec toi, jusqu'à ce que tu trouves, car tu aimes la vérité et la beauté. ».
Le pêcheur finit alors par trouver les coquillages blancs, petit edelweiss des mers, qu'elle avait laissé pour lui. Et elle, elle s'en était encore allée. Mais il la retrouvera, parce que c'est un pêcheur.
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Réminiscence
ContoRecueil de courts textes sur divers thèmes (le temps, le bonheur, petite enfance, la poésie...)