Elle s'appelait Tess et c'était une enfant très mature. Elle a été ma seule amie pendant tout mon primaire. Je me souviens encore qu'un jour, alors que nous étions assises dans un coin de la cour, elle m'avait dit en me brossant les cheveux : « Tu sais il faut souffrir pour être belle ». Quand on est enfant on ne se soucie pas de ces choses-là, ou alors on fait semblant. Je me souviens avoir arrêté de me plaindre, et avoir pensé qu'il me fallait moi aussi souffrir alors, puisque c'était la méthode. M. Gemini claqua des mains, c'était la fin de la recréation et pour moi de la séance de torture. Alors Tess et moi, comme deux femmes fatiguées d'être belles, retournions à nos innocences de petites filles, laissant derrière nous, la petite brosse de plastique sur l'escalier de pierre. La vie est dure, mais quand on est enfant, ce n'est rien qu'un jeu, il suffit de décider d'en jouer un autre.
Ma chambre était située à l'étage tout au fond du couloir. Une petite chambre, avec un lit en fer blanc, une armoire, un bureau et une fenêtre. Le plus important c'était la fenêtre, et la salle de bains qui se trouvaient juste à côté de ma chambre. Le bureau ne me servait à rien, puisque quand je travaillais, c'était soit par terre soit dans la salle à manger en bas, surveillée par ma mère comme si j'allais disparaître de ma chaise en un instant dans le potager ou sous le mimosa. De ma fenêtre, on voyait la terrasse aux carreaux de terre rouge et le grand pin, l'arrière jardin si on tournais la tête à gauche et à droite un peu du bleu. Mais ce que j'appréciais le plus avec ma fenêtre, c'était le fait qu'elle soit si haute du sol que je me sentais libre. Libre de plongé dans le bleu par un regard, de trouver des choses inventées là ou il n'y avais que rocher, buisson ou montagne, libre de tout voir. La salle de bains quant à elle, était le lieu de mes expériences ; peinture, pièces de monnaie, savon, terre, eau bouillante, pétales de fleur, feuilles de menthe, sable et coquillages. Tout y passait, se mélangeait, s'écrasait afin d'obtenir des potions magiques ou peut-être de découvrir une réaction chimique. Si j'avais su que tout avait déjà été découvert, peut-être lui aurais-je murmurer de ne pas se fatiguer et de se concentrer sur ses devoirs.
J'ai toujours été moyenne à l'école. Un peu comme la place qu'elle occupait dans ma vie. Je ne me souviens pas tellement si j'étais contente d'y aller ou pas mais ce dont je me souviens très bien c'est le cours de Mr. Gemini, professeur en CM2 qui enseignait les mathématiques. J'étais en CE2 quand j'avais dû aller dans sa classe pour un cours ou deux. A ce moment, les élèves apprenaient à lire les grands nombres. Alors, assise sur une chaise trop grande, avec devant moi une feuille cryptée de chiffres alignés les uns à cotées des autres, mon cœur battait tellement dans ma poitrine que j'entendais comme en arrière fond les élèves qui lisaient chacun à leur tour leurs nombres. Tout ceci n'avait pour moi aucun sens. Mais le moment fatidique arriva, et c'était à mon tour de me prêter au jeu. Alors, mon bout de blanc devint ma toile et je composais ; et 34 568 devint 30405 68, et puis 865 043 et cela pendant un long instant. Mr. Gémini se résolu de m'expliquer mais cela résonnait en moi comme un tableau de Kandinsky, un troisième monde.
Ma dure journée enfin finie, je sortis de mon école dans une espèce de trans révélatrice. Je devais avoir aperçu une bride de vérité. Maman boucla ma ceinture, s'installa au volant et alluma la radio. Je me souviens avoir remarquer sur l'écran de la voiture deux nombres séparés de deux points. Et ces chiffres changeaient et revenaient au fur et à mesure que la voiture avançait et que le jour changeait. « Maman à quoi ça sert, ça là ? » « C'est l'heure ma puce, c'est pour savoir quand il est l'heure d'aller dormir ou de travailler. ». Je tourna ma tête pour regarder par la fenêtre et je me demanda, pourquoi avait-on besoin de connaître un nombre pour savoir quand faire les choses.
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Réminiscence
Short StoryRecueil de courts textes sur divers thèmes (le temps, le bonheur, petite enfance, la poésie...)