Je m'éveillai en sursauts et dus patienter quelques secondes avant de pouvoir reprendre entièrement mes esprits. Décidément, mes rêves devenaient de plus en plus étranges. Encore sous le coup de la tannée que je venais de me prendre, je grognai et bus un peu d'eau. Mon cerveau carburait pour comprendre ce qu'il s'était passé dans mon rêve.
Depuis environ un mois, je rêvai un peu trop régulièrement du caissier de l'épicerie du quartier de mon école. Bon, ce n'était pas vraiment que ça me dérangeait ; il était mignon, mais j'étais le seul à fantasmer dans cette histoire. De toute façon, la plupart du temps je n'avais de sentiments que pour les hétéros, alors immanquablement, il devait l'être aussi. Mon gaydar était définitivement hors service.
Je me rallongeai, soûlé et songeur, mirant la blancheur aseptisée de mon plafond. Cette fois par contre, ça avait été différent. Apparemment, je lui avais fait peur, mais en plus il m'avait frappé – deux fois ! – au visage. Je palpai mon nez et la zone autour, mais je n'avais rien. Pourtant, dans mon rêve, tout avait semblé si réel ! Je soupirai, las puis regardai mon réveil ; à peine trois heures dépassées de quelques minutes.
Un peu bougon et complètement frustré, je marmonnai dans mon lit de la même façon que mon grand-père avait l'habitude de le faire quand ma grand-mère disait quelque chose qui lui déplaisait. Normalement, je rêvais que je le touchais et il y prenait plaisir. À chaque fois je voyais bien que mon cerveau inventait des réactions de plus en plus franches et adorables en les matérialisant sur son corps et son visage. Il se cambrait, son souffle devenait erratique, je l'entendais gémir à mes attentions et parfois en réclamer plus. Nous partagions des caresses, des baisers, des étreintes, alors me la caler derrière l'oreille ce soir, ça me frustrait énormément ! Foutu cerveau ! S'il avait besoin d'action, moi j'avais besoin de rapports charnels appréciés de mon partenaire chimérique ! Et là, j'me retrouvais comme un con, la bite tendue et tout seul. À cet instant, je haïssais ma vie.
Je finis par donner un grand coup de pied rageur dans ma couette, découvrant mon érection et soupirai en surjouant mon désespoir. La mort dans l'âme, je « m'occupai de ce problème » et me rallongeai sous les draps après un essuyage succinct.
Je me rendormis longtemps après, me demandant si je ne commençais pas à devenir un peu taré. Je devais quand même avoir de sacrés problèmes pour fantasmer à mort sur un gars que je ne connaissais pas, me satisfaisant de son sourire commercial et d'effleurements de mains auxquels j'avais droit à peu près une fois par semaine.
Quand mon réveil sonna, annonçant le début de ma journée, je filai sous la douche. Cette dernière fut longue et bouillante, mais j'en avais besoin. Je devais me remettre les idées en place, rapidement. Je pris grand soin à choisir mes vêtements, à me coiffer et me parfumer légèrement. Je passai ensuite petit déjeuner avec ma mère. Comme d'habitude, les viennoiseries s'étalaient avec opulence sur notre table. Il fallait dire qu'avec un père boulanger, nous en manquions rarement.
— Tu as bien dormi, mon chéri ? s'enquit ma mère en pressant mon épaule de sa main délicate.
— Je me suis réveillé vers trois heures. J'ai rêvé que je me battais.
— Et tu as gagné, j'espère ? rit-elle d'un air complice.
— J'me suis fait défoncé, plutôt, ricanai-je à mon tour. Mais c'était pas de ma faute, j'ai été pris en traître !
Nous blaguâmes un peu sur mon rêve sans que j'entre trop dans les détails, puis, finissant mon chocolat chaud d'une traite, je repassai rapidement par la salle de bain pour me brosser les dents, vérifier une dernière fois ma coiffure puis partis en cours.
À vingt-deux ans, j'étais en pleine réorientation. Moi qui avais passé mon diplôme de boulanger pour succéder à mon père, je m'étais en fait rendu compte que je préférais de loin la pâtisserie. Il y a trois ans, j'avais donc intégré une classe pour passer un CAP pâtisserie et cette année, j'entamai mon BEP afin de me préparer à la gestion d'une boutique.
En discutant « avenir » avec mon père, nous avions mis en place le projet de racheter la boutique adjacente à la sienne et de développer notre activité commune en une enseigne qui réunirait nos deux passions, où les gens pourraient venir manger un morceau, au lieu de garder le simple concept de vente à emporter.
Sur le chemin jusqu'à l'arrêt de bus, puis dans le bus, je me remémorai les réactions de mon caissier fantasmé. Quelque part, j'avais trouvé ça mignon qu'il se défende autant. Un de mes ex m'avait dit un jour que mes envies concernant le sexe étaient quelques peu déviantes. Il était vrai que j'aimais avoir le dessus sur l'autre, je trouvais ce sentiment d'abandon de la part de mes partenaires particulièrement excitant. Ceci dit, un peu de rébellion me plaisait aussi. Concrètement, même au lit, le jeu du chat et de la souris restait de loin mon préféré.
J'en vins à fantasmer tout seul sur les réactions qu'il pourrait avoir, me demandant à quoi il ressemblerait avec les yeux embrumés de larmes, me suppliant à mi-mot de le prendre plus fort ou au contraire à ralentir, car il ne supportait plus le rythme. De délicats frissons naquirent dans mon ventre et je décidai de changer de sujet de réflexion avant de me retrouver à bander dans les transports publics, tel le pervers que j'étais.
En retrouvant le bitume pour me rendre en cours, je passai devant l'épicerie. Je ralentis le pas, mirant l'enseigne, avec l'envie d'aller acheter n'importe quoi qui pourrait me faire échanger quelques paroles avec mon caissier préféré. Il ne fallut qu'une seconde à mon cerveau pour me dire que c'était une très bonne idée.
J'entrai avec la ferme intention de lui parler. Je ne voulais pas juste être un client lambda, mais qu'il me remarque, que je retienne son attention. Dans cette optique, je fis quatre fois le tour de la boutique, tant pour trouver quelque chose à acheter que pour gagner du temps. Je l'observai de loin, par petits coups d'œil à travers les rayonnages. Certes, mon comportement faisait un peu stalker, mais c'était surtout de la timidité... enfin... un peu de timidité. Comme toujours, il souriait et je le trouvais vraiment craquant quand arborait cette expression joyeuse. Son sourire était grand, communicatif et il créait deux jolies fossettes au milieu de ses joues. C'était de plus en plus dur de faire semblant. De plus en plus dur de feindre d'être un client qui n'en avait rien à faire de lui alors qu'il hantait mes rêves presque chaque nuit. Je voulais juste tenter ma chance, peut-être me prendre un gros râteau, mais au moins essayer. Et si jamais j'avais la chance de l'intéresser...
Je pris une longue inspiration pour faire redescendre mon rythme cardiaque. « Pas la peine de s'emballer, Gabriel. Tu vas dire bonjour, engager un peu la conversation et tâter le terrain », pensai-je comme un mantra. Il était à son poste de travail, je ne pouvais pas me permettre d'arriver l'air de rien et de jouer les amoureux transis. Feignant une attitude décontractée, j'attrapai rapidement un café glacé dans les frigos et m'avançai vers la caisse.
Tandis qu'il discutait avec la cliente devant moi, l'aidant à ranger ses courses, je le scrutai ; il était vraiment trop mignon. J'aimais ses cheveux sombres rendus un peu en bataille par son empressement, son rire communicatif, ses yeux bleus pétillants, sa bouille toute ronde... Je craquais complètement.
Lorsqu'il tendit le sac à la femme, je le vis tressaillir de douleur. Je fronçai les sourcils en réponse. Il avait mal quelque part ? Ce n'est qu'en lui tendant ma boisson, une fois la femme partie, que je marquai un temps d'arrêt. Il était blessé à la main. Une large bande entourait sa paume jusqu'à ses deuxièmes phalanges. Un souvenir s'imprima dans mon esprit. Mon rêve. Le coup de poing dans le mur.
Est-ce qu'il serait possible que... J'ôtai immédiatement cette pensée de ma tête. Comment serait-il possible que ce soit la vérité et que sa blessure découle de mon rêve ? J'étais vraiment trop naïf pour que l'idée même de la possibilité de ce résultat n'effleure mon esprit ramolli.
Pourtant... J'avais envie de savoir.
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My violent love story with a sexy ghost [MxM] [terminé]
RomanceAndy le sait, ce qu'il aime, c'est le sexe brutal. Pourtant, lorsque son cerveau décide de le trahir en imaginant chaque nuit qu'il couche avec un des clients de l'épicerie où il travaille, il se dit qu'il doit forcément avoir un problème. Et si, fi...