Chapitre 5 : le plus grand danger

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Le vent soufflait dans la plaine dans laquelle ils avaient pénétré quelques heures plus tôt. L'herbe grasse s'aplatissait sous les énormes sabots des chevaux et les roues de la charrette, emplissant l'air de la douceur sucrée des plantes coupées. Le ciel était bleu, d'une couleur incroyablement pure. La grand-mère de Gina parlait souvent du ciel des humains, celui d'il y a des milliers d'années. Selon elle, il était aussi gris que l'enclume du forgeron, et parfois, par beau temps, d'une couleur qui ressemblait à un bleu fané. Mais la jeune fille n'y croyait pas, refusant l'idée que ce monde qu'elle aurait tant voulu connaître pu être laid.

Les chevaux étaient épuisés, Gina avait cherché un point d'eau pour les déshydrater, mais la plaine continuait à perte de vue. Tobias, assis contre la paroi de la charrette fermait les yeux en grelottant. Le voyant ainsi frigorifié dans sa torpeur, Gina soupira et défit sa veste en cuir de chasseuse, qui appartenait à sa mère. Elle lui tendit pour qu'il s'en drape. 

Le garçon ouvrit les yeux et ses prunelles vertes fixèrent Gina d'une lueur maladive ; ses cheveux noirs collés sur son front par la transpiration étaient gras. Mais il ne bougea pas d'un pouce, une lueur de supplice dans le regard. Il n'esquissait pas un geste, cela inquiéta Gina qui arrêta les chevaux et s'accroupi près de Tobias paniquée.

— Tobias ? s'exclama la chasseuse d'une voix aiguë en touchant le front du garçon. Un frisson lui parcourut l'échine lorsque ses doigts frôlèrent sa tête brûlante. 

— Désolé... soupira Tobias dans un râle.

— Mais de quoi parles-tu ?! s'insurgea Gina en l'aidant à enfiler sa veste d'une poigne de fer. Elle ne savait pas comment se comporter avec lui, hésitant entre tendresse et haine. Cela ne lui était jamais arrivé avec les patients de la chaman.

— Je... Les créatures m'ont drogué. Ils ont mis du poison dans une outre, depuis que j'ai tenté de m'enfuir. Ils avaient peur que je m'échappe, gargouilla le garçon épuisé par ces mots.

Lors du trajet, Gina n'avait pas entendu Tobias parler, elle pensait que c'était simplement par haine envers elle, mais le garçon ne pouvait tout simplement pas, trop faible.

— Tu aurais pu me le dire ! Je...je connais un peu la médecine, ma grand-mère m'a apprit. Je...laisse moi t'aider.

Le garçon ne répondit pas ; un spasme le secoua.

— Quel était le poison ? demanda Gina en repoussant son dégoût voyant de la bave s'agglutiner sur les coins de la bouche de l'apprenti forgeron. Il mit un long temps à répondre :

— Je ne sais pas trop, ils m'ont frappé et je suis tombé inconscient. 

Gina sentait la panique la prendre. Ils étaient perdus au milieu d'une plaine gigantesque qu'ils avaient mis deux heures ou plus pour traverser et ils n'en voyaient toujours pas le bout. Se finissait-elle jamais d'ailleurs ? La chasseuse se limitait à sa forêt, elle n'avait jamais dépassé l'orée du bois. Elle ne savait pas où ils se dirigeaient, leur village était trop loin, la forêt avait brûlé. Et l'urgence de la situation la pressait.

— Je vais trouver une solution. 

La fille n'en croyait pas un mot, mais ne pu s'empêcher de rassurer le garçon. Elle l'aida à descendre de la charrette en le portant à demi. Elle n'aurait jamais cru cela possible avant de se retrouver dans cette situation. Mais malgré leurs différents, ils étaient tous deux presque orphelins, abandonnés dans la campagne, perdus, et ils se devaient de s'entraider, comme si rien ne s'était passé auparavant.

Après avoir installé le garçon dans l'herbe, elle détacha les deux chevaux épuisés de la charrette. Ils n'avaient même plus la force de brouter, un des deux s'écroula dans les plantes vertes. Gina ne put s'empêcher de penser que la couleur de l'herbe était identique aux yeux de Tobias, excepté que ceux du garçon avaient des cercles dorés et bruns éparsés dans ses prunelles. 

The Dark Side of ShadowsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant