Chapitre 4 : kalepa ta kala

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Le ciel, de la même couleur que les vêtements sombres des ténéboris, n'était pas éclairé par la lune. Une nuit sans l'astre lunaire n'était jamais une bonne nuit.

Gina était étonnée que les créatures aient allumé un feu de camp. La flamme rouge brillait dans le noir, et montrait le chemin du camp des ténéboris à Gina. Elle les avait suivis pendant quelques heures. A son grand malheur, les créatures savaient se déplacer rapidement dans la forêt sous le couvert des arbres : des renforts les avaient rejoints, et c'est équipés de charrettes et de chevaux qu'ils avaient pillé le village, qu'ils s'enfonçaient à présent dans la forêt. Les ténéboris étaient maintenant une dizaine, et gardaient prisonnier Tobias.

Gina, à nouveau perchée dans un arbre pour surveiller le camp de ces créatures d'un noir insondable, réfléchissait. Sa vie s'était accéléré en seulement quelques heures. Durant celles-ci, tout avait changé pour le pire. Elle ne pensait pas seulement à sa grand mère et son père, puisqu'elle pensait à tous les villageois qui avaient dû périr dans l'incendie. Tous ces gens qu'elle connaissait si bien... Où étaient-ils à présent ? En train de pourrir dans les cendres de leurs ancêtres, ou bien enfermés dans des charrettes identiques à celle où Tobias était allongé, emmenés par les ténéboris ?

Et s'ils n'avaient pas été capturés, pourquoi donc les démons s'étaient-ils contentés de kidnapper Tobias, qui gisait à présent dans la charrette volée, au milieu du camp. Gina ne savait plus trop ce qu'elle était sensée faire, pour sauver les siens. Se souciait-elle d'être perchée dans un arbre bleu pour épier un camp d'une dizaine de démons et ainsi peut être sauver la vie d'un pauvre humain, alors qu'elle risquait la sienne ? Non, sûrement pas, elle ne s'en souciait guère, accaparée par des questions qu'elle ne pouvait pas résoudre.

Comme à chaque fois qu'elle se sentait perdue, elle sortit son médaillon de naissance de sa tunique en cuir. Allongée dans son arbre, du même que celui où elle avait grimpé plus tôt, elle évitait les gestes brusques pour ne pas tomber et alerter la vigie qui surveillait ses compagnes endormies autour du feu à une distance plus que raisonnable. Si le feu était allumé, un des démons le surveillait précautionneusement avec un intérêt appuyé.

Les créatures n'avaient apparemment pas un odorat très développé, puisqu'elles n'avaient pas senti la présence de Gina. Le médaillon brillait à la lumière du feu, et la jeune fille pu lire les inscriptions gravées sur sa surface dorée : khalepa ta kala. La citation préférée de la mère de Gina, inscrit sur son propre médaillon, un héritage familial. Gina ferma les yeux en pensant à la signification de cette citation.

Tout ce qui a de la valeur est difficile à obtenir.

La citation, était en grec, une langue que Gina ne connaissait pas, puisqu'elle avait disparu, dix mille ans plus tôt, en même temps que la colonisation des démons. Elle savait cependant grâce à sa grand-mère comment étaient les civilisations d'humains avant que Morderoth ne vienne au pouvoir. Les humains avaient construit de grands empires, tout abondait. La nourriture était présente presque partout, l'argent n'était pas une question de vie ou de mort dans la plupart des endroits, on pouvait traverser le monde en quelques heures, il n'y avait presque plus de guerres. Ce monde était parfait selon Gina.

Mais sa grand-mère lui avait toujours répété de ne pas se fier aux apparences. Khalepa ta kala. Ce n'était pas parce que l'ancien monde des humains semblait parfait aux yeux de la jeune fille que la réalité l'était aussi. Cela faisait bien trop longtemps que les démons avaient envahis la planète qui à l'origine s'appelait "Terre". Et ça, personne ne l'aurait su sans le savoir de la chaman. Mais personne ne l'écoutait, persuadé que cette vieille pie était sénile.

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