The Dark Side of Shadows

Chapitre 1 : traque nocturne

  L'arc tendu au maximum de sa force, Gina attendait tapie dans l'ombre de la nuit. Les feuilles bruissaient dans le vent de la forêt vierge, autrefois peuplée de tours lumineuses en béton qui touchaient un ciel nuageux et pollué.

  Gina en savait beaucoup sur ces légendes, sa grand-mère étant la chaman de Lyn'h – sa ville natale – lui racontait depuis sa plus jeune enfance les mythes sur ces fameux humains qui roulaient dans des machines bruyantes. Gina n'avait jamais compris l'intérêt de sa grand-mère pour ces vieilles légendes datant d'il y a bien trop longtemps pour être vraies. 

  Perdue dans ses pensées, la jeune fille ne vit pas la magnifique biche qui entra dans la clairière. La flèche partit trop tard et se ficha dans un creux de mousse lumineuse. 

  Le cervidé apeuré sauta dans les fougères de la clairière et s'échappa en quelques secondes. Malgré tout, Gina était rapide et un deuxième trait vola dans l'obscurité brisée par la lueur de la lune et des mousses lumineuses collées sur les rochers au sol. A nouveau, la flèche de Gina rata son objectif, et frôla l'oreille droite de la bête qui s'enfuyait entre les arbres gigantesques et couvert de lichens. 

  Les petites fées voletaient entre les branches et leur lueur conférait une présence rassurante pour Gina. Elle avait passé sa vie dans la forêt et en connaissait les moindres recoins. Si elle y avait passé beaucoup de temps, elle connaissait les dangers qui la guettaient de jour et préférait de ce fait chasser la nuit. Les Démons passaient leur journée dehors, il était alors bien trop dangereux de se chasser lorsque le soleil était à son apogée. La nuit, le village dormait, sa famille aussi, et elle pouvait se livrer à ses activités sans gêne.

  Ces chasses nocturnes étaient l'occasion de ramener du gibier pour sa grand-mère et son père, et Gina ne pouvait se permettre de rentrer au village sans prise. Cette biche aurait fourni assez en la vendant au marché magique pour que la jeune fille puisse acheter le souper pour deux jours durant, sans parler de la peau qui lui aurait permis d'acheter les médicaments de la chaman. 

  Se levant, la jeune chasseuse marcha en silence dans la clairière pour récupérer son trait. Malgré la pénombre, Gina s'aperçut que la biche avait laissé des empreintes dans la mousse du sol, grâce aux ailes lumineuses des fées.

  Elle aimait par dessus tout chasser la nuit car cela donnait un avantage aux animaux, à la différence du jour. Elle n'aimait pas tuer des bêtes, et ne le faisait que par nécessité. Ces chasses nocturnes avaient donné à Gina une bonne ouïe car se repérer grâce à la lumière était presque impossible dans certaines régions de la forêt que Gina connaissait par cœur à présent. Elle récupéra sa première flèche qui s'était fichée dans un lit de mousse bleue. Si Gina appréciait cette clairière, c'était pour l'unique raison que le sol était tapissé de mousse phosphorescente qui prodiguait une légère lueur réconfortante dans ces ténèbres. 

  Elle rangea la flèche dans son carquois. Ses gestes experts ne lui avaient pas permis de toucher la biche cette fois-ci. Gina ne pu s'empêcher de penser que cette défaite était assez inhabituelle. 

  De tout le village elle était de loin la meilleure chasseuse. Les autres gens de son âge préféraient se pavaner dans les boutiques de leurs parents. Elle, elle n'avait rien. Son père possédait un champ, et c'était tout. Il y travaillait tous les jours, et rentrait le soir en sueur et plus sale que jamais. Gina détestait bêcher et repiquer le sol, il n'y avait aucune excitation dans ces gestes, aucune adrénaline. Alors elle avait apprit à chasser, à ses dépends, pour subvenir à leurs besoins lorsque son père ne ramenait pas assez, lorsque les récoltes étaient infructueuses. Malgré son jeune âge, elle avait apprit à tirer à l'arc, à dépecer les animaux, à se diriger avec la lueur des étoiles et des fées.

  Mais aujourd'hui, Gina était déconcentrée. Ses pensées refusaient de quitter son esprit lors de sa chasse, elles la perturbaient. Lors de ses traques elle excellait, mais pas cette nuit-ci. Quelque chose avait changé dans l'air, ce qui l'intriguait. Elle sentait les ténèbres se rapprocher. Cette sensation ne lui était arrivée qu'une seule fois dans sa vie, la nuit de la mort de sa mère, la destruction de son ancien village. 

  Elle était âgée de 5 ans, lorsque les ténéboris avaient débarqué dans sa maison. Le lendemain, plus de traces de sa mère. Les ténéboris, ces Démons malveillants avaient emporté sa mère. Les recherches éreintantes du père de Gina n'avaient servi strictement à rien, son épouse était toujours portée disparue. La chaman, assurait que Morderoth l'avait prise lui-même, mais n'avait jamais expliqué la raison de cette affirmation qu'elle maintenait avec ferveur. Passant pour une folle, encore une fois.

  Gina chercha sa flèche en vain : celle-ci avait disparu. La nuit avançait, et Gina souhaitait rentrer au plus tôt chez elle. Sans prise, elle se ferait assurément réprimander, son père lui rabâchant qu'elle ne servait strictement à rien, et n'était qu'une bouche de plus à nourrir. Une autre raison pour lesquelles elle avait apprit à chasser, était rendre son père heureux. Et il l'était assurément, lorsqu'elle lui ramenait gibier, les mains pleines de sang, de la terre dans ses cheveux bruns.

  Gina, laissa sa flèche quelque part dans la forêt, refusant de la chercher plus longtemps. Cette traque n'avait été qu'une perte de temps, il n'y avait pas eu d'animaux de la nuit. Mis à part cette biche qui s'enfuyait vers le nord. Ceci renforçait l'inquiétude de Gina qui se pressa dans les sous-bois, vers le village de Lyn'h.

  La marche lui prit seulement quelques heures, alors qu'elle aurait duré une journée entière à un randonneur expérimenté. La jeune fille connaissait cette forêt par cœur, et personne ne pouvait la semer dans ces bois d'arbres bleus et verts et de mousses phosphorescente. Elle connaissait les tanières de tous les renards, savaient où les lapins se cachaient, et où les biches venaient boire chaque jour. Or, aujourd'hui elle n'avait aperçu qu'un animal dans les sous-bois surpeuplé.

  Son inquiétude croissait. Elle couru presque sur la fin du chemin, grimaçant tout en martelant le sol de ses chaussures en cuir de chasseuse .

  Se frayant un passage dans les fougères, Gina, sentait son pouls battre de plus en plus fort. Sous les arbres elle l'aperçu enfin. Son village. Lyn'h.

  Une lueur inhabituelle illuminait les lieux. L'odeur étrange qui flottait dans l'air n'était pas inconnue à Gina, puisque c'était celle qui illuminait leur foyer avant qu'ils ne sombrent dans la pauvreté. La lueur rougeoyante qui émanait du village s'élevait dans le ciel, toujours plus haut, là où la mère de Gina reposait. 

  Gina s'arrêta net. L'inquiétude qui la turlupinait depuis son départ n'était pas fondée sans raison. Elle se fiait souvent à son instinct, et cette fois-ci elle ne lui avait pas fait confiance et le regrettait rudement. 

  La jeune fille aux cheveux bruns et longs – qu'elle nattait lors de ses chasses– et aux yeux violets réfléchit quelques secondes, avant de se précipiter vers les murailles de bois qui n'avaient pas fait long feu, si l'euphémisme est possible. 

  Elle accourut jusqu'à la colline sur laquelle Lyn'h était érigé, et s'enfonça sans réticences dans le brasier qui illuminait la nuit.

  Des cris lui parvenaient, la faisaient frémir. La fumée s'infiltrant dans ses narines, elle souffrait péniblement à la recherche de sa grand-mère, et de son père. Quant à son paternel, elle n'avait pas de soucis à se faire, elle se doutait qu'il pourrait s'enfuir, mais la chaman ne pouvait pas marcher seule ! 

  Fouinant dans toutes les maisons, elle ne vit cependant personne, malgré les cris. Des larmes brûlantes coulaient sur ses joues, et crépitaient en atterrissant dans le feu.

  Pas un habitant n'était en vue, mais alors d'où venaient ces cris ? Gina chercha en vain, se bouchant le nez dans sa manche, et s'efforçant de ne pas respirer. La stratégie était inefficace, elle le savait, et elle ne tarda pas à sentir sa tête tourner. Ses larmes se tarirent, la chaleur étant trop imposante. 

  Au bord de l'évanouissement, elle sentit quelque chose attraper son coude, et elle voulu s'enfuir. Elle n'avait pas assez de force, et se laissa entrainer dans le feu, son inconscient prenant le dessus.