La Soirée

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Ma montre sonna six heures. Ouvrant tant bien que mal mes yeux, j'émergeai d'un sommeil lourd. Pour ensuite glisser par terre, hors d'un lit. Lit dont je ne pris conscience que bien après. Puis, reprenant la pleine possession de mon corps endolori, je regardai autour de moi. C'est à cet instant que je souhaitai être amnésique.

C'était la veille (si le horreurs n'avaient bien duré que le temps d'une soirée) que Fred, mon vieux copain de Lycée, m'avait contacté via Google +. J'étais à cet instant dans ma petite maison de vacances, dont la chambre m'inspirait pour rédiger quelques fabulations. Et possédé par un certain goût du vintage, je travaillais avec la machine à écrire de mes grands-parents. Ce jusqu'à ce que mon portable m'annonça le message de Fred. Le brave garçon, avec qui j'avais passé ma première et ma terminale, souhaitait m'inviter à son anniversaire. Je lu ainsi la dite invitation (ce sur un réseau social que je croyais mort depuis la Renaissance), et content de me changer les idées, j'acceptais.

Fred avait pour l'occasion emprunté le domaine de ses beaux-parents. C'étaient dans mes souvenirs de riches bobos parisiens. Et d'après le message de Fred, le couple était parti à Cannes, pour voir le dernier blockbuster de J.L Godard. Une semaine plus tard, je pris ma voiture pour rejoindre la propriété des ancêtres de Fred. Mais au fur et à mesure que je progressai, je me rappelais à quel point Fred était, bien que je l'appréciai beaucoup, assez excentrique lorsqu'il s'agissait de faire la fête. La soirée qu'il avait d'ailleurs donné pour ses 18ans avait été une véritable dionysie. Je me rappellerai toujours du panaché coulant à flots, des danseurs huilés portugais et du cheval que Fred avait, par quelque miracle alcoolisé, ramené dans sa salle de bain. C'est donc non sans appréhension que je roulais, déjà depuis deux heures, vers la demeure de mon camarade.

Après avoir gravi tant bien que mal les marches d'un escalier vermoulu et rongé par l'humidité, j'arrivai devant l'imposante masure qui occupait les terres des parents de Fred. On aurait dit une maison dessinée par Tim Burton en personne. Le manoir était également entouré d'une forêt très noire, qui semblait couvrir plusieurs kilomètres tant elle m'était immense. Mais la musique – les derniers hits NRJ sans doute – me détournèrent de ce paysage gothique. Je frappai à l'immense porte, la gorge serrée, et entendis des pas. Puis arriva Fred, coiffé d'un chapeau trop petit et de lunettes de soleil pour enfant. Après une chaleureuse embrassade, il m'invita à rejoindre les festivités.

C'était un festival. Il y avait des ateliers dans tout les coins, comme disait l'autre. Au centre du grand salon, Fred avait disposé une sorte de fontaine à bière, d'où jaillissait tel la lave du Vésuve des torrents d'alcool. Autour de cette fontaine dansaient en farandole des camarades que je ne reconnus que bien plus tard. Je les identifiai tous, bien qu'ils semblaient débarquer d'un autre espace temps. D'autres invités quant à eux s'abreuvaient tels des animaux de la bière. Bière moussante qui coulait sur le parquet rouge du manoir. Non loin de là, une toute autre animation se déroulait sur les canapés. Quelques convives étaient alignés, solennels, dégustant des pétards de la taille d'une saucisse de Francfort et fumant des chichas douteuses. Ce en regardant sentencieusement les Telettubies qui passaient à la télévision, sous l'œil impassible du portrait de M. Dufour. Le beau-père de Fred, habillé en pécheur tout droit sorti d'un bouquin de Maupassant, ne semblait nullement atteint par l'orgie qui se déroulait sous ses yeux. Et quand je vis Fred refermer la grande porte du manoir, pour ensuite twerker sur« Et quand il pète il troue son slip. » devant ses 350hôtes, je compris qu'il était trop tard. Il fallait être fort. Il fallait que je survive.

Le pire arriva après le déballage des cadeaux. Fred eu l'idée de rendre visite aux moutons du champ d'à côté : complètement annihilé par l'alcool et d'autres substances suspectes, il se mit en tête d'en chevaucher un. Il ramena alors son armée de convives défoncé au sucre en poudre, et tous choisirent un destrier. Ils dévastèrent alors Westeros, Fred en tête de ses légions, complètement nu, brandissant sur son mouton une tronçonneuse en marche en hurlant « Je suis un roi. ». Et moi, je filmai à sa demande ce carnage, avec le nouveau caméscope qu'on lui avait offert. J'étais tellement dépassé que j'avais l'impression de réaliser un film de Pasolini, immortalisant ces cavaliers barbares s'enfonçant dans la forêt. Forêt qui fut également le lieu privilégié d'autres horreurs que, par décence, je ne saurai décrire.

D'après mes derniers souvenirs, la soirée s'acheva sur Fred revenant de croisade avec une trentaine de survivants. Me voyant harassé, mon hôte sonna l'heure du coucher, mais avec l'ambitieux projet de descendre le lit en chêne de l'étage pour le planter dans le salon. Je crois que l'opération a fait trois morts et deux blessés, et que ce même lit est celui dans lequel je me suis endormi.

Mais, alors que tous étaient dans les doux bras de Morphée, et que le matin s'était pointé, une question se posait en mon esprit. Ou était Fred ? La réponse arriva à l'instant.

Je fis quelques pas seulement dans le manoir que la réponse ne se fit pas attendre. Je hurlai de terreur en voyant le spectacle inhumain qui se présenta à moi, quand je traversai la cuisine. Fred, en slip à fleurs, un monosourcil peint grossièrement sur son front, les pieds coiffés de chaussettes claquettes et hurlant « C'est ça ! »constituait mon comité d'accueil matinal. Et après avoir crié de tout mon soul, je fuyais alors cette maudite demeure, ces maudites terres. Et sitôt rentré chez moi, je désinstallai consciencieusement Google +. 

Carabistouilles, Prose et essais écrits pour le funOù les histoires vivent. Découvrez maintenant