Anam Cara (Jake, From Duskwood)

La traque

L'annonce brutale ne rencontra qu'un silence absolu, le calme avant la tempête. Je voyais venir l'agitation dès lors que la nouvelle serait répandue parmi les habits bleus. Pour l'heure, Alan, Romy et moi nous regardâmes tour à tour avec effarement, dans l'attente que l'un d'entre nous brise la tension silencieuse qui s'était installée. Les preuves avaient révélé un vérité que je n'avais même pas soupçonnée. Alors ce monstre n'était autre que le père de Richy ? Je fouillais ma mémoire à la recherche d'une explication sensée. Qu'est ce que j'avais raté pour n'avoir jamais envisagé cette éventualité ? Mon suspect se trouvait pourtant dans la bonne famille, mais j'étais totalement passée à côté de... Paul.
J'assemblai les pièces du puzzle; la voiture d'Hannah, la réaction du ravisseur lorsque sa captive avait mentionné notre ami disparu, l'attitude étrange de Richy, la longueur d'avance qu'avait notre homme sur le groupe... Les choses se mettaient en place. Oui, ça faisait sens ! Sauf que...

- Je ne comprends pas...ça colle mais...le mobile...

J'avais à peine murmuré ces paroles, étonnée qu'elles fussent sorties de mon esprit pour se perdre dans l'atmosphère chargée du bureau, pourtant elles enclenchèrent un processus irréversible.
Alan s'était levé, téléphone en main, et en pressait déjà les touches.

- Commandant Bloomgates, transmettez moi à la procureure, c'est urgent, assena-t-il sévère.
L'attente au bout du fil poussa l'homme à faire courir nerveusement ses doigts contre le vernis terne de son bureau. La faible lumière de l'écran, qu'il scrutait intensément, faisait ressortir les muscles de sa mâchoire serrée.
Un bourdonnement à son oreille capta son attention, stoppant net ses démonstrations d'impatience.

- Les masques tombent, Madame la procureure. Je viens de recevoir les résultats ADN des prélèvements sanguins de la villa Jenkins. Il va me falloir un mandat d'arrêt. Paul Roger, le père de Richy Roger.
Il marqua une pause tandis que son interlocutrice s'animait au bout du fil. Ça, c'est ce que je vais tenter de découvrir, lui répondit-il finalement.

Alan fit glisser les doigts de sa main libre sur le clavier d'ordinateur, pressa la souris filaire d'un autre temps, puis laissa un fin rictus satisfait adoucir la tension de son visage.

- C'est fait. J'envoie une équipe sur place immédiatement. Je vous ferai parvenir le rapport de perquisition. Oh, et... l'interrogatoire est pour moi.

Il raccrocha, l'air satisfait, puis balaya la pièce du regard.

- Fais la sortir d'ici, ordonna-t-il à Romy avec la sévérité qui le caractérisait, tout en pointant son menton dans ma direction.

- Vous m'avez demandée de venir, m'insurgeai-je en insistant sur le "vous". Je n'étais impressionnée ni par son mépris, ni par son austérité feinte.

- Rentrez chez vous, m'asséna-t-il alors que je le voyais rassembler ses affaires et empoigner un genre de talkie-walkie.

Mes neurones se plaisaient à démontrer leurs capacités et j'avais le cerveau en ébullition. Je voulais en être. Hors de question de le laisser croire qu'il me laisserait sur la touche si aisément.

- On a un marché. Je coopère, vous me laissez participer à l'enquête.

Il fronça les sourcils visiblement très mécontent de ma tentative de rébellion, puis grimaça comme s'il avait dû ravaler son vomi.

- Mais qu'est ce qui ne va pas chez vous ? Vous pensez vraiment que j'ai le temps de jouer les baby-sitter ? Brailla-t-il en s'élançant vers la porte.
Romy, surveille la, je ne veux pas avoir sa mort sur la conscience, et encore moins sa bêtise dans les pattes.

Je fis l'impasse sur l'ordre douteux de ses priorités et l'interrompis dans son élan.

- Vous ne croyez tout de même pas que vous allez le cueillir simplement en frappant à sa porte, si ?