2# Chez Azalée

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Lui

Plusieurs semaines ont passé depuis le jour des fleurs. Le printemps a pointé le bout de son nez, les oiseaux gazouillent et les bourgeons éclosent peu à peu. Tous les membres de ma famille sont repartis chez eux, à l'autre bout de la France, me laissant enfin en paix. De mon côté, je me sens surtout soulagé. Je déteste les voir, faussement désolés, et devoir faire semblant de ne pas leur en vouloir.

En ce samedi après-midi ensoleillé, j'enfourche mon vélo, arpentant le parc voisin. A force, je connais le chemin par cœur.

A gauche.

Puis à droite.

Me voilà sur la piste cyclable, suivant les légères courbes au gré du vent. Beaucoup de familles se prélassent dans les étendues vertes, parsemées de pâquerettes. Des chiens s'amusent à rapporter le bâton à leur maître, tous contents. Des enfants glissent sur le toboggan. Cette seule vision suffit à me rembrunir instantanément. J'accélère mes mouvements, quittant brusquement le petit bosquet. Agacé, je pédale sans m'arrêter, encore et encore. Des fratries soudées qui jouent au ballon, très peu pour moi.

Sans m'en rendre compte, j'ai rejoint le village voisin, à plusieurs kilomètres de mon point de départ. A bout de souffle, je m'arrête sur la placette de la petite ville, à côté de la fontaine. Sa fraîcheur m'apaise un tant soit peu. M'asseyant quelques minutes, mes paupières se ferment. Cherchant à retrouver un rythme cardiaque stable, je me concentre sur ma respiration. Quelques gouttes d'eau s'écrasent sur ma peau luisante de sueur. Me sentant un peu mieux, je rouvre les yeux.

Et depuis ce banc en bois, j'aperçois la devanture incroyable. Ces vieilles vitres entourées de bois colorés et repeints artisanalement il y a peu. Et puis toutes ces tonalités vives. Je ne comprends pas pourquoi cette boutique m'émeut autant. Dans ma vie, je suis quand même allé chez plusieurs fleuristes. Alors, qu'a-t-elle de plus que les autres ? Dans une graphie élégante, il est inscrit en blanc : « Chez Azalée ».

Curieux, je laisse mon vélo sur une barrière et m'approche de la vitrine. Derrière, un chat se dore la pilule au soleil, les pattes en l'air. Au-dessus de sa tête, une feuille indique : « Ce chat n'est pas mort, il dort. Merci. » Amusé, je ris doucement, fixant la bête poilue en plein effort, le ventre offert à la vue de tout le monde.

Relevant le regard, je découvre alors la même fleuriste que la dernière fois, s'affairant sur une grosse composition. Elle n'hésite jamais lorsqu'elle attrape une plante, et elle ne se trompe pas. Fasciné, mes yeux l'observent longuement. La jeune femme semble si concentrée, qu'elle ne me remarque même pas. Une longue tige savamment recoupée, de grandes feuilles, des fleurs élégantes. Subitement, je regrette de ne pas avoir profité des arbres en fleurs, dans ce parc et de m'être enfui si rapidement.

Sans y réfléchir, je pousse encore une fois la porte. Instantanément, mille effluves se mêlent entre elles, me chatouillant les narines.

La botaniste, dans son tablier, se retourne en m'offrant un sourire de bienvenue.

— Oh, vous, je vous reconnais ! s'exclame-t-elle.

Amusé, j'hausse un sourcil. Depuis la dernière fois, je n'ai pas remis un pied ici. Surpris qu'elle se souvienne de moi, je ne trouve rien à répondre.

— Le bouquet a-t-il plu ? s'enquiert-elle, rangeant son sécateur dans sa poche.

— Oui, elle était ravie, mens-je à demi-mots.

Parce qu'à moi, il m'a plu.

La jeune femme semble rayonner de cette nouvelle. Ses longs cheveux bruns et ondulés sont ramenés en un chignon flou, laissant s'échapper quelques mèches. Son nez aquilin lui donne un profil atypique. Subitement, elle sort un carnet de sa poche, remonte quelques pages et paraît y noter quelques mots. Probablement pour une commande future.

Souviens-toi des irisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant