9# Minute, papillon

84 15 8
                                    

Dahlia

En ce beau dimanche ensoleillé, se déroule la fête des voisins. A cette occasion, Jean a sorti toutes les tables de son bistrot, remplissant la place du village. Des tréteaux et des planches complètent le tout. Chacun a ramené un petit quelque chose à manger ou à boire. Un barbecue fume dans un coin. Des enfants s'amusent sur une marelle tracée à la craie, à même le sol. Les adultes discutent gaiment autour d'un verre de vin. J'observe tout ce beau monde, en retrait. Un peu comme si mon corps se trouvait là, mais que mon esprit se baladait ailleurs. Assise sur mon banc en bois, devant mon assiette en carton et mon gobelet vides.

Depuis le décès de Mémé, j'ai du mal à percevoir le regard que pose les villageois sur moi. J'ai conscience que dans ces petites bourgades, les discussions et les rumeurs vont bon train. Certains ont jugé ma façon d'agir, d'autres la respectent profondément. Plusieurs années après, j'ai la sensation d'être redevenue une étrangère en ces lieux.

Jean vient s'attabler à mes côtés, le sourire aux lèvres. Il m'a toujours soutenue, dans la discrétion. Au fond, il y a quelque chose que je ne saurais jamais venant de lui, je le sens. Après tout, il s'est de suite beaucoup investi à ma cause, sans raison apparente.

— Magnifiques, ces bouquets, assure-t-il, désignant les quelques vases jonchant les tables.

— Merci, soufflé-je.

Il s'agit de ma participation à cette fête, même si peu s'en sont rendu compte. Mon voisin, les cheveux grisés par le temps, a des traits doux et bienveillants. Son berret vissé sur le crâne, il porte toujours des chemises à carreaux. Ça rajoute à son côté rustique.

Puis, nous demeurons silencieux, à observer la foule qui nous entoure. Comme un grand-père et sa petite-fille. Emue, je n'ose pas briser ce mutisme lourd de sens pour nous deux. Finalement, au bout de plusieurs minutes, il amorce maladroitement :

— Il a l'air gentil, ce jeune homme.

Comprenant instantanément qu'il fait allusion à Isaac, j'acquiesce. Alors, les yeux fatigués du vieil homme se posent sur moi. Il paraît sincèrement touché.

— C'est bien pour toi, Dahlia.

— Mais, nous sommes juste amis, balbutié-je, gênée de discuter de cela avec lui.

— Qu'importe. Tant que quelqu'un est là pour toi, c'est l'essentiel. Et, entre nous, les regards ne trompent pas, rit-il, me donnant un gentil coup de coude dans les côtes.

Il donne l'impression de se remémorer sa propre vie, ses émotions à lui.

— Et puis, je le connais, ce petit. Il est très bien.

— Ah bon ? Mais-

— Aller, profite du soleil ma grande, me coupe-t-il, avec un clin d'œil complice.

Puis, il s'éclipse, de sa démarche tremblante.

Minute, papillon.

Depuis quand Jean connait-il Isaac ? Et pourquoi Isaac ne m'en a rien dit ? Nous dinions chez lui au début, donc ils se sont forcément reconnus. Perturbée par cette nouvelle, je ne sais pas comment réagir. Dois-je en vouloir à mon ami de me l'avoir caché ? Est-ce si grave ? Je ne pense pas. Pourtant, il m'a confié qu'il ne voyait pas les couleurs et ça semblait être complexe pour lui. Et il m'a tu connaître Jean. Cela reste tout de même étrange...

Du coin de l'œil, j'observe mon voisin retourné au rôle de restaurateur et servant les gens de sangria fraîche. Et lui ? Pour quelle raison a-t-il pensé important de m'en parler ? Troublée, je tente de remonter le temps, de trouver le moment où ils auraient pu se rencontrer. Mais, rien.

Souviens-toi des irisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant