5# Purement professionnel

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Narcissus jonquilla ; jonquille : renaissance, nouveaux débuts, affection partagée, future prospérité


Isaac

Je n'en reviens pas. Après le dernier soir, où je ne suis pas venu sans prévenir, je pensais qu'elle me témoignerait de l'amertume. Qu'elle ne ferait pas trop d'effort dans notre collaboration. J'avais préparé des excuses, sans entrer dans les détails. Au fond, je n'ai pas trop envie qu'elle sache que j'étais à l'hôpital... Surtout, j'étais plutôt rassuré qu'elle préfère reporter. Cela lui a évité de me voir dans cet état pitoyable.

Seulement, il n'en a rien été. La fleuriste m'a simplement demandé de changer de lieu de rendez-vous, parce que les nouvelles tournent et se détournent vite dans ce petit village. Et elle est arrivée, avec le plan imprimé, annoté de partout ; un cahier rempli de post-it et de différentes propositions. A aucun moment elle n'a fait allusion à mon comportement peu remarquable.

Troublé, je l'ai écoutée m'expliquer ses idées, toutes aussi extraordinaires les unes que les autres. Ses longs cheveux bruns ont été tressés ce matin probablement, parce que des tas de petites mèches s'en échappent. Elle ne semble pas s'en faire. Le sourire aux lèvres, elle a étalé tous ses croquis devant moi, avec une fierté non feinte.

— Alors, qu'en penses-tu ? conclue-t-elle, impatiente.

— Je suis assez mal à l'aise, parce que je n'ai pas autant avancé de mon côté, balbutié-je, me frottant la nuque.

— Oui mais, ton avis ? insiste-t-elle, fronçant les sourcils.

Décidément, elle paraît avoir plus de caractère qu'elle en a l'air ...

— Je... J'aime beaucoup tout ce que tu proposes, affirmé-je, attrapant une de ses feuilles. Il faut que j'arrive à le conjuguer de mon côté et ça peut être super.

— Super ? Non, non, il faut que ça soit génial, rétorque-t-elle, s'enfonçant dans son siège.

— Alors on fera un truc super-génial, souris-je.

Cela semble la satisfaire puisqu'elle acquiesce gaiment. Lorsque le client m'a proposé cette étude, j'ai failli refusé. Elle me semblait de trop grande envergure pour ma petite entreprise. Et puis, j'ai fini par accepter, en me disant que si Dahlia était de la partie, nous pourrions accomplir quelque chose de bien.

Avec précaution, je range toutes ses feuilles avant de les ranger dans mon sac, pour pouvoir les étudier à tête reposée chez moi.

Et je la regarde. Sourire aux lèvres, ses yeux ne brillent pas. Ils ont l'air ternes, et terriblement lassés. Comme si elle était contente, mais que cela ne suffisait plus à la combler. Ils ressemblent aux miens... Ses traits paraissent tirés par la fatigue. Même si elle ne force pas son rictus, je sens qu'il pourrait être bien plus grand.

Toi aussi, tu vas rentrer chez toi, te coucher et te dire « encore une journée de passée, sans que rien ne change » ? Demain, te lèveras-tu, en pensant que la routine te tue à petit feu ? Pourtant, tu as essayé de faire bouger les choses. Quand tu as vu que ça n'avait pas d'impact, tu as arrêté, épuisée. Aujourd'hui, tu avances sans exister. Tu vis, parce qu'il le faut.

Qui t'a enlevé cet éclat dans ton regard, Dahlia ? Personne n'a le droit de faire ça.

— Pourquoi tu ne m'en veux pas de ne pas être venu, l'autre soir ? m'enquiers-je, curieux.

— Pour quoi faire ? Je n'attends plus rien de personne. Tu viens, c'est bien. Tu n'es pas là, tant pis pour toi, assure-t-elle, me fixant droit dans les yeux.

Souviens-toi des irisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant