3# De quelle couleur, les hortensias ?

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Dahlia

Comme tous les matins, je tourne la pancarte, indiquant à qui le souhaite que la boutique est ouverte. Les commandes s'enchaînent et se ressemblent. Mon amour pour les fleurs me fait tenir ici. Enfin, ça et ... ça aussi.

J'aime redonner du baume au cœur des gens. Jouer avec les couleurs. Rythmer avec les pétales. Discuter avec les clients pour choisir le meilleur mélange. Jouer avec les feuilles. Voir les visage s'illuminer. Entrelacer les couleurs. Raviver l'espoir dans les yeux des personnes. Me rendre utile, à mon échelle. Recevoir des fleurs est toujours un plaisir indescriptible. Elles ont beau être éphémères, elles vont rester dans ce vase pendant quelques temps, égayant la pièce et rappelant la personne qui nous les a offerte. Leur odeur embaumera la maison. Leurs tonalités éclaireront le quotidien. Puis, un jour, elles faneront. Mais au moins, durant ces semaines, elles auront su amener un peu de vie.

Et moi, je vis avec tout ça constamment. Elles sont là, fièrement debout dans mes innombrables vases. J'ai toujours hâte de savoir quel message elles vont pouvoir transmettre : amour ? Amitié ? Pensées ? Deuil ? Pardon ?

Mon nouveau collègue n'a pas remis les pieds ici depuis des semaines. Il a dû changer d'avis, se dire que je n'ai pas tant de talent que ça. A vrai dire, ça se saurait dans la région si j'avais réellement un don et je n'aurais pas autant de mal avec mes fins de mois. Je ne suis pas à plaindre, je vis convenablement. Seulement, je m'empêche de beaucoup de choses pour remettre ce magasin au goût du jour. Ça coûte de l'argent, alors le trou dans le toit de la réserve laisse passer la pluie. Un carreau de la vitrine est cassé. Le sol en bêton nu est froid. Qu'importe, je me débrouille.

Alors que j'hésite entre des pavots et des œillets, mon petit carillon annonce l'entrée d'un client.

Il est là : grand, aux cheveux châtain bouclés, avec ses yeux bleu et ses lunettes rondes. D'un grand sourire, il me salue, pochette verte sous le bras.

— Bien le bonjour collègue ! s'exclame-t-il, enthousiaste.

— Bonjour, murmuré-je, reposant précautionneusement mes fleurs.

— Tu aurais du temps pour m'éclairer de ta lanterne ?

Il me tend ses grands papiers griffonnés, le regard rempli d'espoir.

— Hum, je dois finir des bouquets pour un mariage...

— D'accord, alors ce soir ? A quelle heure finis-tu ?

Impatient, ses pupilles m'observent tandis qu'il range ses croquis.

— 19 heures, affirmé-je.

— Vendu. Je reviendrai ce soir et on en discutera autour d'un verre. Belle journée !

Et il repart aussi vite qu'il est arrivé. Sonnée, je l'aperçois remonter la rue pavée, puis disparaître au croisement, d'une démarche guillerette. Mais quel énergumène est-ce donc ? il vient, sème le trouble dans mon quotidien, puis s'en va d'un claquement de doigts, sans me laisser le temps de m'exprimer.

Le reste de la journée s'écoule lentement. A vrai dire, l'idée de voir cet inconnu tout à l'heure m'angoisse. Je n'ai pas bu de verre avec un homme depuis bien longtemps. Non pas qu'il s'agisse d'un rencard, loin de là. M'enfin, la situation me dérange un peu. Si bien que je finis par me tailler avec mon sécateur. Râlant tout ce que je peux, j'enroule mon pouce dans un pansement avant de nettoyer les dégâts sur ma paillasse. Ça ne m'arrive jamais habituellement.

Finalement, le clocher sonne 19 heures. Et mon carillon aussi.

— Déjà là ? marmonné-je, un poil renfrognée.

Souviens-toi des irisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant