Chapitre 27 ( 14 ans)

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     À 14 ans, je m'étais de nouveau retrouvée dans la classe d'Eléah. Mal dans ma peau et sans amie pour me soutenir, j'étais très vite redevenue la boniche d'Eléah. 

Je savais que je me laissais faire et que j'avais peur d'elle. Je savais que j'avais tout faux. Mais la solitude et la tristesse me poussaient à faire les quatre volontés de l'Eléah. Et malheureusement, plus je rentrais dans son jeu, plus cela m'isolait des autres. C'était un cercle vicieux.

Souvent, je me sentais faible et cela me déprimait encore plus.

J'avais l'impression que tant que je faisais ce qu'elle me demandait, mon quotidien serait plus ou moins supportable alors je subissais. Je me taisais et je courbais l'échine. Le simple souvenir des mauvais traitements infligés à Salomé durant nos primaires me remettait les idées en place. Je n'avais ni la force ni le courage nécessaire pour me battre contre une fille comme elle.

Parfois, je repensais à la musique que j'aimais tant. Je regrettais l'époque où Eléah n'était pas présente à mon cours de piano. Bizarrement, elle m'avait enlevé l'envie de jouer. C'était comme si la flamme en moi s'était éteinte petit à petit. Je continuais à aller au cours par automatisme, mais plus par passion. Je savais que ce n'était pas normal qu'une personne vous enlève votre joie, mais je ne savais pas comment lutter contre ce brouillard constant qui m'empêchait d'y voir clair. J'avais l'impression d'étouffer ou de marcher dans un marécage. Je m'enfonçais chaque jour davantage.

Je me mis à rédiger la plupart de ses devoirs afin qu'elle me laisse en paix et qu'elle arrête de monter les filles de la classe contre moi. Lorsqu'il y avait un travail groupé, elle parvenait toujours à s'incruster dans mon groupe afin de me laisser faire tout le boulot.

Eléah n'avait pas changé depuis le jour où, à 9 ans, elle avait triché sur ma feuille sans me demander mon avis.

Souvent, elle s'en prenait à une fille tout comme elle avait harcelé Salomé. Elle aimait rabaisser les autres pour prouver à quel point, elle, était supérieure à nous.

Eléah était belle, grande et élancée. Eléah voyageait beaucoup. Elle n'arrêtait pas de se vanter et de faire la maligne. Tout ce qu'elle avait vécu était automatiquement mieux que ce que nous avions vécu. Elle était habillée à la mode et elle savait quoi dire et quoi faire pour attirer l'attention sur elle. Eléah paraissait parfaite à nos yeux et c'était pour cela qu'elle gardait le pouvoir.

Qui avait envie de se la mettre à dos ? De la contrarier ? Qui avait envie de s'en faire une ennemie ? Personne car en plus d'impressionner tout le monde, elle faisait peur. Elle était tout simplement capable du tout.

La plupart des filles de classe avaient remarqué qu'Eléah avait une taille de guêpe. Normal, sa mère surveillait son poids et lorsqu'elle était en voyage, c'était la nounou qui devait surveiller ses menus. De ce fait, celle-ci analysait et critiquait nos assiettes, se permettant de juger ce que nous mangions.

C'était sa nouvelle lubie ; le contenu de nos assiettes.

« Tu ferais mieux de manger une pomme au lieu de cette horrible gaufre au chocolat. »

« À ta place, je ne ferais pas ça !!! »

« Encore des frites ? Et après, tu vas oser te plaindre ? »

« Je comprends tout de suite d'où viennent tes kilos en trop. »

« Ce pantalon te serre beaucoup trop. Tu m'étonnes, avec tout ce que tu ingurgites ! »

C'était devenu une épreuve pour nous de nous restaurer en sa présence. Parfois, j'en arrivais à regretter mes repas en solo des années précédentes.

Elle, elle mangeait très peu et sainement. Nous, nous avions envie de nous ruer sur des crasses comme toutes les adolescentes des pays industrialisés. Celles qui faisaient attention, n'osaient plus craquer sur des bonbons ou des barres chocolatées de peur qu'Eléah les ridiculise devant tout le réfectoire. C'était un vrai gendarme.

Eléah était sans cesse sur notre dos à se moquer de nous ou à émettre des petits commentaires blessants. Le cauchemar !

Romane, une fille de la classe, était même tombée dans l'anorexie à cause d'elle, mais bien sûr, nous n'avions pas de preuves. C'était juste notre ressenti. Eléah agissait sans laisser de trace, sans permettre les recoupements. Elle avait toujours une longueur d'avance sur nous.

Un jour, j'étais arrivée avec des paquets de bonbons et des chips à l'école et je les distribuais aux quelques filles de ma classe. C'était une idée de ma mère pour essayer de garder le contact avec celles qui ne me rejetaient pas encore. Nous avions beau avoir 14 ans, il n'y avait pas d'âge pour des confiseries. Les filles avaient adoré mon idée.

Lorsqu'Eléah nous surprit de loin, elle s'approcha de moi d'un pas décidé. Sans réfléchir un seul instant, elle se jeta sur moi et m'arracha les paquets des mains.

-Tu arrêtes avec ces cochonneries ? hurla-t-elle.

-Laisse-nous tranquilles, criai-je, frustrée par son intervention.

Je ne terminai pas ma phrase. Le fait que je lui tienne tête devant tout le monde la vexa instantanément. Oups.

-Tu veux devenir comme Salomé ? répondit-elle.

Entendre ce prénom me contraria. Pourquoi reparler de Salomé après tout ce temps ?

De plus, je ne supportais plus de repenser à mon ancienne amie. Salomé était un sujet sensible. Je n'assumais pas ce qu'il s'était passé. J'avais honte quand je pensais à elle, j'avais mal. La plaie était toujours à vif.

-Ne me parle plus jamais d'elle ! criai-je au bord des larmes.

Hors d'elle, Eléah tourna les talons pour se diriger vers la poubelle. Elle y jeta sans hésiter tous les sachets de bonbons et de chips. Toutes les sucreries se mélangèrent aux déchets. C'était un massacre.

-Ne me parle pas comme ça ! lâcha-t-elle alors que la sonnette retentissait. Pour qui tu te prends Sloann ?

Sans me regarder, elle ramassa son sac qui traînait sur le sol, puis elle regagna le rang. Eléah ne m'adressa plus la parole de toute la journée.

Le lendemain, elle fut de nouveau adorable avec moi, car nous avions beaucoup de devoirs à préparer pour la fin de la semaine. 

J'aurais tout fait pour toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant