Chapitre 39 ( 18 ans)

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     Début août, je me retrouvai à aider Théodore au Tea-Room de la ville.

Sans diplôme, sans qualification et le moral dans les chaussettes. Mais j'y étais !

Théodore était un jeune trentenaire qui avait quitté l'agitation de Bruxelles pour s'installer à la campagne. Sur un coup de tête, il avait vendu son appart au centre-ville afin d'investir dans son nouveau projet.

Quelques mois plus tard, il m'avait avoué qu'il avait fui la capitale à cause d'un chagrin d'amour. Une fille avait profité de sa gentillesse et de sa naïveté alors que lui avait été sincère avec elle. Il était en plein divorce et ne s'en remettait toujours pas. Son histoire me toucha particulièrement.

Grand et maigre, il avait l'air d'un gentil géant. Sa tignasse de couleur noire accentuait sa pâleur et ses cernes. Toujours de bonne humeur, il avait l'air de manquer de sommeil 7 jours sur 7. Avec ma mine de dépressive, nous faisions la paire.

Il avait su créer un établissement tranquille où de la musique classique tournait en boucle. Cela me rappelait mes cours de piano et madame Carter. Il m'avait un jour expliqué que c'était un jeu vidéo qui lui avait donné cette idée. C'était un jeu dans lequel il fallait créer un resto et le faire évoluer. J'avais trouvé ça atypique. Un simple jeu vidéo avait changé sa vie ? Cocasse.

Tout le bâtiment avait été repeint dans de jolies couleurs pastelles, douces et accueillantes. Rose dragée, bleu ciel, jaune pâle, lavande.

À la base, certains s'étaient imaginé que ce décor était l'œuvre d'une jeune femme, mais à la surprise générale, il s'était avéré que cet univers était sorti tout droit de l'imaginaire de Théodore. Garçon sensible et romantique.

Maladroite, je le fus de nombreuses fois, mais heureusement, Théodore était patient. Il savait que je voulais bien faire même si ma timidité maladive ne m'aidait pas. Je n'avais aucune confiance en moi et je m'excusais tout le temps pour des bêtises.

-Arrête de t'excuser sans cesse ! disait-il parfois en riant. Je piquais aussitôt un fard puis nous rigolions de bon cœur.

Il devina que j'avais souffert, que je n'allais pas très bien, mais je ne parlais jamais du pourquoi de ma présence dans son établissement. Il savait que j'avais à peine 18 ans et que je ne voulais plus remettre un pied dans une école. Cela avait été suffisant pour le convaincre de m'embaucher.

Parfois, je sentais qu'il m'observait, mais il n'était jamais indiscret ni collant. Il devinait que je fuyais quelque chose ou quelqu'un. Théo savait heureusement respecter mon intimité. Même s'il mourait d'envie de me questionner, il ne voulait pas me brusquer, car il ressentait ma fragilité.

Parfois, il se moquait gentiment de moi. Mais il avait aussitôt discerné mon désarroi face à ses blagues. En fait, je ne savais jamais s'il se moquait de moi comme le faisait Eléah ou s'il me taquinait gentiment. Étonnement, il ne blagua plus jamais à mes dépens. Il comprit que cela me blessait. Il avait vu la peine noyer mon regard désemparé.

Lucille, qui préparait toutes les confiseries dans la cuisine, n'était pas plus envahissante que son patron. Discrète et constante, elle se faisait presque oublier derrière ses fourneaux.

En fait, c'était l'endroit idéal pour trouver un nouvel équilibre et me reconstruire.

Quelques mois plus tard, j'étais déjà plus à mon aise et je commençais à trouver mes repères. Je rendais la monnaie sans me tromper, j'utilisais la machine à café sans la détraquer et j'apporterais les boissons aux clients sans trop souvent les renverser.

Et je dois vous avouer que j'étais très fière de moi. Mes parents n'en revenaient pas et me félicitaient régulièrement pour mon endurance.

Le matin, je me réveillais avec un grand sourire sincère et je me préparais en ayant l'envie de me rendre quelque part.

-Ça fait plaisir de te voir comme ça ! avait un jour lancé papa, tout sourire.

Je n'avais plus jamais une boule au ventre, des crampes ou des vomissements. Je retrouvais un visage serein et mes cernes s'estompaient progressivement. 

Petit à petit, le cauchemar de ma scolarité prenait moins de place dans ma vie. Parfois, j'avais encore des regrets ou du chagrin, mais je réalisais que ceux-ci ne servaient à rien puisque le mal était fait. Je ne pouvais pas revenir en arrière. Il fallait assumer ces années compliquées. Apprendre à vivre avec et surtout en tirer une leçon.

Heureusement, j'arrivais à ne pas rester sur ces sentiments négatifs. Quelquefois, je devais me forcer à sourire pour chasser mes tourments. Mais j'y arrivais de mieux en mieux.

Une certitude m'était pourtant difficile à digérer. Eléah continuerait sa route et persisterait à faire du mal autour d'elle, sans laisser de trace, sans se faire avoir.

Je n'arrivais pas à accepter ce fait.

Cela me mettait en colère.

C'était tellement injuste. 

J'aurais tout fait pour toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant