Chapitre 1 (9 ans)

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   J'étais assise devant un grand piano noir laqué, attendant avec quelques élèves la venue de notre professeure de musique.

Je venais d'avoir neuf ans et j'en étais très fière. Je voulais être une grande fille dorénavant.

Étonnement, Mme Carter n'était jamais en retard. Elle était aussi précise qu'une partition, toujours ponctuelle, toujours rigoureuse, toujours appliquée. Cette attitude me rassurait. J'aimais entendre sa voix résonner par-dessus les notes, dans la grande pièce de musique. J'aimais observer sa main battre la mesure, compter les temps sans se fatiguer ni se tromper, j'aimais écouter les « do ré mi fa sol » qui voltigeaient autour de moi.

En toute simplicité, elle nous faisait aimer la musique, les instruments, le solfège. En toute simplicité, elle nous communiquait son enthousiasme, elle nous contaminait. C'était mon cours préféré.

Secrètement, j'espérais devenir une musicienne plus tard. Peut-être même en faire mon métier. En fait, je ne pouvais pas imaginer une journée sans musique. C'était comme une drogue. Quand j'étais triste, la musique me redonnait le sourire. Quand j'étais malade, la musique m'aidait à aller mieux. Quand j'étais heureuse, la musique m'aidait à communiquer mon bonheur aux autres.

Ce jour-là, je riais de bon cœur avec ma meilleure amie Salomé alors que nous tentions de reproduire le morceau que nous avions à répéter pour la leçon du jour. Quelques fausses notes, nous fîmes pouffer de rire, ricaner comme deux gamines complices.

-Pas comme ça, Sloann ! s'écria Salomé en me poussant un peu pour prendre ma place face au piano.

Je sentis mon visage rougir mais je ne me démontai pas cette fois-ci. C'était toujours comme ça avec moi. Je rougissais si vite dès que j'étais mal à l'aise ou intimidée. C'était désagréable et tellement gênant. Mais avec Salomé, ça allait, je passais au-dessus plus facilement.

Elle réussit à accaparer le piano pour me montrer comment faire, mais elle ne s'en sortit pas mieux que moi.

-Tu fais n'importe quoi ! m'écriai-je en riant.

Avec Salomé, je pouvais être moi-même. Elle ne me jugeait jamais ni ne se moquait de moi. Nous n'étions pas en compétition, juste deux amies qui se comprenaient, qui ne cherchaient pas à en mettre plein la vue. C'était toujours simple avec elle.

Simple et vrai.

En sa compagnie, je n'avais honte de rien. Salomé, avec ses cheveux bruns courts aussi raides que des baguettes et ses deux grands yeux noisette, était une constante dans ma vie. Je savais que son surpoids provoquait souvent des moqueries, mais je ne m'étais jamais moquée d'elle.

Jamais.

Elle avait vite compris qu'elle pouvait me faire confiance, je n'étais pas comme les autres filles de la classe...enfin à ce moment-là, je ne l'étais pas. Puis, même si elle ne le réalisait pas, Salomé était jolie, même beaucoup plus jolie que moi. Mais ça, elle ne le comprenait pas. Son surpoids éclipsait tout, même ce qu'il y avait de plus beau en elle.

C'est à cet instant précis qu'Eléah entra dans ma vie alors que je jouais innocemment du piano avec ma meilleure amie.

C'est à cet instant qu'elle était entrée comme une princesse dans nos vies de petites filles insouciantes. Je n'étais pas préparée à une nouvelle rencontre ni apte à faire un choix éclairé en matière d'amitié.

J'étais du genre à pardonner les autres, à oublier, à excuser les moqueries ou les sales coups.

Tout le monde était gentil et bienveillant à mes yeux.

Tout le monde me voulait du bien. Je n'avais pas encore compris que c'était faux.

Cette fille ne pouvait pas être bien différente de moi ou des autres fillettes de l'école.

Cette fille ne pouvait pas me faire de mal.

Cette jolie petite fille ne pouvait pas être mal intentionnée, n'est-ce pas ?

J'aurais tout fait pour toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant