Ce qui pourrait être mieux

Qu'est-ce qu'être végétarien ?

L'on m'a souvent dit que je n'étais pas végétarien, qu'un vrai végétarien ne mange jamais de viande ou de poisson, quelles que soient les circonstances. Il est vrai qu'il m'arrivait, avant que je n'arrête définitivement de consommer de la chair animale, de manger de la viande et du poisson chez les autres (alors au courant pour mon végétarisme mais cependant pas encore scrupuleusement respectueux de mon choix). Mais bien entendu, je n'en mangeais plus chez moi ni, plus globalement, lorsque j'étais seul, comme lorsque j'allais manger au restaurant universitaire, par exemple. Eh bien, malgré tout, j'osais l'affirmer envers et contre tous : j'étais déjà végétarien, même si mon comportement alimentaire n'était pas identique à celui d'un.e végétarien.ne «classique».

Mais alors, comment justifier cette affirmation paradoxale selon laquelle on peut être véritablement végétarien.ne tout en mangeant de la chair animale ?

Voici les prémisses et postulats de base qui nous conduisent, entre autres, à une telle conclusion :

Les torts que nous causons aux animaux que nous produisons et consommons consistent en leur réification et leur abattage systémiques.

Un animal, une fois réifié et abattu, ne subit pas davantage de tort parce qu'un consommateur mange la chair prélevée sur sa carcasse.

L'unique moyen de mettre un terme à la réification des animaux d'élevage et à leur abattage systémiques est de plus acheter ou faire acheter aucun produit dont la production implique un système d'élevage et d'abattage réifiants d'animaux sensibles ayant, en tant que tels, un intérêt à ne pas être abattus.

Autrement dit, une fois que la chair animale a été achetée, le mal a déjà été produit, et ce, dans sa totalité. C'est-à-dire que manger de la chair animale qui a déjà été achetée, cela ne constitue en rien un tort supplémentaire que l'on causerait à l'animal abattu sur lequel a été prélevée ladite chair, pas plus que cela ne cause de tort aux tiers (en l'occurrence les autres animaux d'élevage).

En effet, le seul tort que peut faire un consommateur aux animaux d'élevage, c'est d'entretenir le système qui les réifie et les mène à l'abattoir. Or, c'est l'achat de chair animale et non sa consommation qui entretient ce système : ce qui agit causalement sur un système de commercialisation industrialisée d'une denrée alimentaire quelconque, c'est l'achat et le non-achat de cette dernière par les consommateurs, et en aucun cas le fait de consommer ladite denrée. En effet, parce que la consommation est postérieure et indépendante de l'achat, celle-ci ne joue aucun rôle causal dans le système. Que la chair animale achetée soit consommée ou non, la chaîne causale est la même : 1. une offre est acceptée par un consommateur, 2. les acteurs du système prennent acte de l'acceptation de l'offre qu'ils ont émise, 3. ils renouvellent leur offre, et 4. le processus se répète autant de fois que l'offre rencontre sa demande.

Ce qui se passe dans l'assiette n'a aucune incidence sur le système. Ce qui est déterminant, c'est ce qui se passe dans le caddie.

C'est pour toutes ces raisons que j'affirme ceci : si vous n'achetez pas de la chair animale pour vous-mêmes et si la seule chair animale que vous mangez est achetée par un tiers qui détermine la quantité de chair animale qu'il achète sans tenir compte de vos doléances, c'est-à-dire qui n'en achèterait ni plus ni moins que vous en mangiez ou non, alors votre comportement est aussi efficace que celui d'un.e végétarien.ne qui ne consomme sous aucun prétexte de la chair animale. En effet, vous contribuez de manière égale à la dénonciation et à l'affaiblissement du système de production de chair animale.

En disant tout ceci, je dis donc : être végétarien, c'est avant tout ne jamais être l'auteur d'un geste par lequel on entretiendrait le système de production de chair animale.