Objections d'une lectrice et tentatives de réponse

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Une lectrice à l'esprit bien formé a formulé à l'encontre du précédent chapitre quelques objections, notamment sur mon choix de ne pas utiliser un autre terme que celui de «végétarien» pour désigner tout individu qui lutte aussi efficacement que possible contre le système de réification et d'abattage systémiques des animaux (ce qui peut, je le rappelle, paradoxalement se traduire par la consommation d'une chair animale achetée par un tiers qui n'en aurait acheté ni plus ni moins (et qui n'achètera pas de "complément de chair animale") quel que soit le comportement adopté par le végétarien une fois la chair animale achetée ; et à la condition supplémentaire que l'individu ait fait son maximum pour dissuader le tiers de l'inclure positivement dans son calcul de la quantité de chair animale à acheter).

J'ai donc choisi, avec son accord, de partager ici nos échanges. Je les ai quelque peu retravaillés, mais seulement à des fins purement didactiques et littéraires, si bien que le fond ne s'en retrouve point altéré. Je vous en souhaite une bonne lecture.

Objection : "Dans son ensemble, le raisonnement se tient. Cependant, «être végétarien», au regard de la définition qu'en donne un dictionnaire, ne signifie pas «être contre le système de réification et d'abattage systémiques des animaux et lutter contre celui-ci aussi efficacement que possible» mais bien «se nourrir de végétaux et de produits d'origine animale à l'exclusion de la chair» (CNRTL), c'est-à-dire ne manger sous aucun prétexte de la chair animale. Le mot désigne donc un régime alimentaire bien spécifique, qui se distingue nécessairement du régime omnivore. Certes l'on peut être végétarien pour diverses raisons (parce que l'on n'aime tout simplement pas la viande et le poisson ; parce que la production de chair animale est un désastre écologique ; parce que la consommation de chair animale pose de graves problèmes éthiques, etc.), mais ce qui est factuel et indéniable, c'est que le point commun entre toutes les personnes qui se revendiquent végétariennes, c'est qu'elles ne mangent jamais de chair animale. D'ailleurs, il y a une correspondance entre ce constat et la définition du dictionnaire puisque celui-ci, encore une fois, retient le refus catégorique de manger de la chair animale comme le critère distinctif. Ainsi, quand bien même ton comportement alimentaire est aussi efficace que celui d'une personne qui refuse catégoriquement de manger de la chair animale, tu ne peux pas dire que tu es végétarien tout comme elle."

Réponse : "Voilà une objection qui n'est pas dénuée de sens et de pertinence, loin s'en faut. Tu me reproches donc de prêter au terme de «végétarien» un sens qui ne lui est pas reconnu, du moins pour l'instant, et c'est à bon droit que tu le fais. Il est vrai que dans le précédent chapitre je me suis essayé à une redéfinition minimale du terme, à un élargissement logique de sa signification. À cette fin, je me suis donné pour consignes d'être le plus pragmatique possible et de raisonner d'un point de vue strictement éthique et conséquentialiste, et c'est pourquoi j'ai volontairement mis de côté les questions des intentions du sujet, des moyens ainsi que des préférences culinaires. Le seul critère de définition que j'ai retenu est celui des conséquences du comportement alimentaire. En effet, que tu ne manges de la chair animale sous aucun prétexte, que tu n'en manges que si elle est achetée par un tiers qui n'en achèterait pas moins même si tu le lui demandais et qui n'en achètera pas plus parce que tu manges une partie de cette quantité de chair animale qu'il a achetée, que tu refuses de consommer de chair animale pour des raisons d'éthique animale, pour des raisons écologiques ou bien encore pour des raisons purement gustatives, les conséquences sont toujours les mêmes : tu fais diminuer la demande en produits contenant de la chair animale et tu contribues donc à limiter l'accroissement de la production. Et puisque le mot de végétarien existait déjà pour désigner les personnes qui ne mangent sous aucun prétexte de la chair animale, peu importent leurs motivations, j'ai jugé opportun de l'employer pour désigner plus largement toutes les personnes qui contribuent, par leurs actions, quelles qu'elles soient, à minimiser la demande marchande en chair animale et donc le développement du système de production. En d'autres termes, j'ai essayé de dégager le noyau conceptuel du végétarisme, d'en extraire la substantifique moelle. Mais il vrai qu'autour de ce "noyau", se déploie une polysémie arborescente : le végétarisme a autant de branches qu'il y a de raisons et de façons d'être végétarien. Mais à la racine de toutes ces branches, il y a donc un effet causal commun, à savoir le non-entretien du système de production de chair animale. Mais peut-être me trompe-je en croyant que c'est ce que recherchent l'immense majorité des végétarien.ne.s ?"

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