60 - Jake - Hermanito

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Adossé au chambranle de la porte, je me perds dans la contemplation de la chambre. La moquette et ses motifs en arabesques qui datent du siècle dernier. Les lourdes tentures cramoisies qui opacifient les timides rayons du soleil. La lampe de chevet à frange qui nappent son halo de lumière d'une farandole de poussière. Le lit double en fer forgé, son tourbillon de drap et de couette, ni vraiment bordé ni complètement défait.

J'entends des bruits de pas derrière moi. Je ne prends pas la peine de me retourner.

-Elle est partie ?

L'ombre soupire.

-Ce matin, après avoir fait ses bagages.

Je gigotte, change de position trois fois d'affilé. Mon mal aise se répand le long de mes membres agités. Khaleb prend place face à moi, de l'autre côté de l'encadrement. Je cherche dans son visage des indices sur la façon dont s'est déroulé leur face à face. N'en trouve aucun.

-Elle l'a bien pris ?

-Oui gamin, elle était ravie ! irone t'il. Qu'est-ce que tu crois ?

Au moins il a pu lui dire au revoir ...

-J'ai tout fait pour qu'elle nous déteste, continue Khaleb. J'ai dû y aller un peu plus fort que prévu, mais j'ai fait du bon boulot.

-Mais ça va aller pour elle ?

-Quand je lui ai donné son chèque j'ai bien cru qu'elle allait me cracher au visage, s'amuse Khaleb avec un sourire déjà nostalgique. Elle a des cojones. Elle s'en sortira.

Je ressasse les évènements, ne sait plus sur quel pied faire reposer mon poids, doute de chacune de mes décisions, croise décroise et recroise mes bras.

-On n'avait pas d'autre choix. C'était le mieux pour elle.

-Ouai, je marmonne sans conviction. Tu l'as d'jà dit.

A ce moment j'ai milles regrets mais une seule question. Je ne sais pas pourquoi elle m'obnubile autant. Ce n'est qu'un détail. Pourtant les mots franchissent mes lèvres avant que je ne les retienne.

-J'connaissais même pas son nom d'famille...

Je ne savais pas que le brun des yeux de Khaleb pouvait être aussi morose.

-Les orphelins de l'Estat n'ont pas de nom de famille. Ils portent tous le nom du pensionnat où ils ont grandi. Dans le cas d'Evie, mais aussi de Ian et d'Irvin, c'est Lomberget.

-Lomberget ...

-Evidence de Lomberget, répète-t-il avec sérieux avant de s'esclaffer. Si tu savais à quel point elle déteste ça ! Elle a toujours préféré Evie ...

Je ne peux que lui donner raison. C'est un diminutif qui colle bien mieux au caractère espiègle et enjoué de la jeune femme, à sa bonne humeur, à la facilité qu'elle a d'aborder les gens, de se lier à eux ...

-On à fait ce qu'il fallait, me souffle Khaleb en posant une main qui s'égare sur mon épaule quelques secondes. Je t'attends en bas quand tu seras prêt.

J'écoute ses pas s'éloigner, les marches grincer sous son poids, les lames du vieux parquet chanter au rez-de-chaussée.

On a fait ce qu'il fallait ? Je ne sais même plus ce qui est bien ou pas ...

*

Je revois Sammaël.

Son visage déformé par la rage et la stupéfaction, une main sur son abdomen troué, clopinant vers la sortie tout en nous maudissant, Khaleb et moi. Plus aucun de nous deux n'avait la force de le poursuivre.

Les fils de Sammaël [terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant