3 - Jake - Calme toi putain de merde

99 16 14
                                    


Vous quittez Ford-Coast, revenez vite nous voir.

Pas trop tôt !

J'incendie mentalement le panneau planté au bord de la route. La pancarte affiche l'image d'une ville industrielle glorieuse avec au lointain des bateaux crachant de la fumée dans un ciel dégagé, et je trouve qu'elle ne pourrait pas moins représenter la réalité de FordCoast.

Même si son port a été florissant à une époque, avant l'arrivée des démons, je doute que la ville n'ai jamais été aussi propre et ensoleillée que l'image digne d'une carte postale veut nous le faire croire.

Je ne cesse de ruminer depuis que j'ai quitté ce maudit hôtel de malheur. Au volant de mon van, j'ai fait tout mon possible pour quitter au plus vite l'écœurante ville, cette antichambre de l'enfer. Et maintenant que j'en sors enfin, je n'ai qu'une hâte : mettre le plus de distance possible entre moi et ce maudit Khaleb de mes deux.

J'ouvre en grand les fenêtres de la titine, j'inspire une bouffée d'air marin rafraîchissante, et j'espère que cela suffira à chasser mes idées noires. On respire déjà mieux ici. J'ai l'impression que la crasse de la ville s'est insinuée par tous les pores de ma peau. Je me sens sale, souillé.

Comment peut-on vivre ici ?

J'espère ne plus jamais devoir revenir. Même si au fond je le sais. Je l'ai toujours su. Comme toutes les fois d'avant, je finirais par revenir. Parce qu'il le faudra bien. Il le faut toujours. Parce que je suis un foutu aimant à emmerdes. Et que le seul qui peut m'aider, à chaque fois, c'est Khaleb. Je le déteste pour ça. D'être à la fois mon bourreau et mon sauveur. Je le hais autant que je lui en suis reconnaissant.

Non. Pas ce soir. Ce soir, je le hais plus.

Je secoue la tête et me reconcentre sur la route, juste à temps pour ne pas louper la sortie Sud-Sud Est. Je n'ai pas envie d'y penser. Je veux juste rentrer chez moi et tirer cette affaire au clair. Je veux l'entendre de la bouche de ma fiancée, que tout ça n'est qu'une mauvaise blague, qu'elle est innocente. C'est tout ce qui m'importe. Et le plus vite sera le mieux.

Ma patience d'ordinaire fragile est mise à rude épreuve ce soir, et ma conduite s'en fait sentir. Je débouche sur la voie express en direction de Queenstown, le seul chez moi que j'ai connu. Il ne me reste plus qu'à avaler les kilomètres à bord de mon van GMC, une antiquité que je bichonne dès que j'en ai l'occasion.

D'ordinaire, j'adore conduire. Rouler des heures avec la solitude pour seule compagne, c'est mon exutoire. Même si ce trajet en particulier est loin d'être mon préféré puisqu'il me rappelle de manière insistante que je rends des comptes à Khaleb.

Cette nuit, avec le cerveau en ébullition et la rate au court-bouillon, je sens que ça ne va pas être de tout repos. Des kilomètres de ligne droite à longer la côte, ce paysage monotone que je connais par cœur. Aucune distraction. L'enfer. J'arrive à peine à distinguer l'océan qui d'ordinaire m'apaise, l'éclairage public est plutôt frileux par ici, et la nuit est particulièrement sombre. Je ne verrais pas l'aube avant d'être arrivé à destination. Mes pensées commencent déjà à vagabonder comme des juments sauvages lâchées en pleine nature.

Khaleb, cet enfoiré, on en revient toujours à lui.

Lui dont la spécialité est d'utiliser les méthodes les moins orthodoxes pour foutre le bordel dans ma vie. Lui que j'ai rencontré pour la première fois il y a à peine un an pour qu'il m'annonce que mon existence, déjà peu enviable, n'était en plus qu'un tissu de mensonges que j'avais été suffisamment con pour croire. Lui qui m'a fourni une explication à toutes les choses inexplicables que je vivais, mais qui était à des années lumières de ce que je voulais entendre.

Les fils de Sammaël [terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant