39 - Pour Evie

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Khaleb

Si on m'avait dit que j'en serais là il y a quelques semaines, j'aurais ri au nez du type qui m'aurait pondu une telle connerie. Au volant du vieux van de Jake, bercé par ses ronflements réguliers, lancé dans une course folle contre la montre pour sortir Evie des griffes du paternel avant qu'il ne se rende compte qu'elle ne lui sert à rien, et qu'il réalise qu'il est irrémédiablement coincé dans notre monde. Et eunuque.
Le pauvre.

J'ai dû batailler avec le gamin pour qu'il me laisse ses clefs. Je l'ai bousculé un peu pour lui montrer à quel point il n'était pas en état de conduire. Pas trop non plus, même moi je n'ai pas le cœur à lui foutre mon poing dans sa tronche de quasimodo. Il s'est endormi aussitôt que le moteur s'est mis à ronronner. Je le laisse en paix, je sais que dormir est le meilleur moyen pour nous de nous soigner.

Je ressasse un peu l'existence de ce bras droit de Sammaël, qui a mis la tête au carré au gamin. Même si Jake a beaucoup de défaut, je dois reconnaître que c'est un dur à cuire. Même quand ses pouvoirs démoniaques étaient bridés, il ne s'est pas gêné pour dévisser quelques têtes et aussi encaisser quelques marrons sans broncher.

Mais le toutou du paternel semble avoir une vitesse surhumaine à son arsenal ce qui n'est pas le cas du gamin et de son gabarit. En tout cas pas pour l'instant. Qui sait s'il développera le même genre de capacité quand son côté démoniaque sera arrivé à maturité.

Par moment je ne fait plus attention à la route. Je ne vois plus les éclats de verre qui pullulent sur le pare-brise comme des boutons d'acné sur le visage d'un adolescent, et mes pensées se mettent à dériver. Elles se fondent dans la brume grise qui me guide vers la maison.

Je me rappelle que ce Gabriel est sûrement avec Evie en ce moment et je me retiens d'imaginer ce qu'il peut bien se passer. A la place je me répète que j'ai hâte de présenter mes dagues et ma souplesse féline à mon nouveau demi-frère. Après tout, ce sont mes super pouvoirs à moi.

Arrivé devant l'hôtel, je freine pied au plancher pour réveiller mon passager qui grogne et semble affublé d'une horrible migraine.

-ça fait mal de guérir !

Jake me décroche un regard noir, apparemment pas d'humeur aux taquineries.

-Presque aussi mal que de te regarder, dis-je pour enfoncer le clou.

Je l'observe s'extraire avec difficulté du van, puis boitiller péniblement vers l'entrée. Pendant un moment, j'hésite à lui offrir mon bras pour l'aider, mais je crois que ni lui ni moi n'aimerions l'exercice. J'y renonce, claque la porte cabossée de son véhicule bon pour la décharge, et le dépasse dans la rue sans l'attendre, le laissant se trainer seul derrière.

Même l'impassible Maureen blêmie quand Jake fait son apparition dans le vestibule.

-C'est rien, il a essayé de se raser tout seul, dis-je pour ma standardiste. Des nouvelles de nos invités ?

Elle continue de détailler Jake de la tête au pied en me répondant.

-Ils sont en route, Je crois.

-Tu crois ?

-Ils ne sont pas facile à comprendre. Mais je ne voudrais pas te gâcher la surprise.

Je ne me laisse pas émouvoir par cette information. Je claque dans les mains pour attirer l'attention de tout le monde, y compris la mienne qui a tendance à vagabonder.

-Parfait ! Gamin ?

Je le juge rapidement, lui qui est recroquevillé sur son estomac comme si ses entrailles menaçaient de se déverser sur la moquette.

Les fils de Sammaël [terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant