Prologue

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Éclair bleu

Le bleu. Couleur aérienne, enchanteresse, aux déclinaisons folles et mystérieuses qui fêtent les insomnies. Bleu du ciel, de tes yeux, de nos vœux. Bleu de l'eau qui m'engloutit. Bleu de ton vernis. Le marin, le taciturne, le turquoise, le joyeux, le clair, le roi, le canard.

Bleu dans l'âme. Bleu dans le cœur.

Toujours bleu.

Tu étais le rose, rouge apaisé de sa teinte sanguinaire furieuse.

La musique est trop forte.

La chaleur empêche l'air d'emplir mes poumons.

La sueur suinte sur ma peau écarlate.

Mes membres lourds se balancent le long de mon corps, encombrants.

La pièce bascule au rythme des notes de la guitare électrique dont le musicien s'est embarqué dans un solo endiablé.

On est cent, mille peut-être, corps enivrés par l'alcool, collés les uns aux autres, cœurs cognant contre nos poitrines, sang vibrant sous nos tempes.

Je suis seule dans la foule, pour oublier le monde, ma robe de cuir aux reflets rouges et roses pâles renvoyant la lumière des projecteurs. Mes cheveux courts dorés s'emmêlent autour de mes doigts, collent à ma nuque. Les tatouages prenant naissance dans le bas de mon dos, semblaient se mouvoir, parcourir mes bras, mes mains, jusqu'au bout de mes doigts. 

Et c'est là que je la sens.

Une main contre ma hanche. Elle presse mon coccyx contre une peau étrangère, un corps envahissant. 

Soûle, je me débats comme une enfant faisant l'avion ou le moulin à vent, sans succès. Il se fait plus oppressant, et bientôt, il n'y a plus d'air entre mon dos et son ventre, mes bousculades n'y font rien.

Je veux crier.

 Je veux le mordre.

 Je veux qu'il me lâche.

C'est trop.

Trop.

- ASSEZ !

J'hurlais, ma voix grave montant dans les aiguës sous la pression. Je n'entendais plus la musique. Il n'y avait plus que mon cri. 

D'un coup, mes doigts se mirent à briller d'une lueur bleuté.

Je vous promets, j'aurais aimé pouvoir l'arrêter. Vraiment. Mais les mojitos m'avaient faite oublier mes pouvoirs, comme très souvent. Et comme les histoires sans queue ni tête qu'on ne peut contrôler alcoolisé, je n'avais aucune main mise sur les éclairs qui jaillissaient de mes paumes. Mes yeux devinrent phosphorescents dans l'éclairage alternatif de la boîte de nuit.

Je plaquai ma main contre sa cage thoracique, appuyant de toutes mes forces. Probablement que si elle avait rencontré le sol, elle y aurait laissé son empreinte.

En un clin d'œil, l'inconnu était à terre, prit de spasmes, la bouche ouverte comme un poisson rouge hors de l'eau.

Je pris quelques temps à sortir de ma torpeur, à me rendre compte de mon acte. Mes doigts se mirent à trembler, je les observais sans comprendre. La panique m'emporta face à mes mains, toujours bleues, l'homme à terre, la foule se resserrant sur de moi, filet ramassant sa proie. Proie s'étant retourné contre le chasseur, au lieu d'attendre sagement sa fin. Proie ayant tué l'un des leurs.

Fuir.

N'importe où.

Il devait y avoir une issue.

Il ne pouvait en être autrement.

Je devais sombrer dans la folie, comme tous mes cauchemars, mes visions l'avaient annoncé.

Je me recroquevillai sur moi-même, fermant les yeux le plus fort possible, me pinçant les bras pour me rappeler à la réalité, telle une enfant ayant commis une grosse bêtise.

Je voulais perdre la mémoire, ne plus penser, ne plus songer à quoi que ce soit. Ce n'était pas la réalité, n'est-ce pas ?

C'était impossible.

Qui suis-je ?

Le vide.

Un bras me tire d'abord, enlace mes jambes, puis tout mon corps.

Bercée, une chaleur rassurante était apparue dans mon ventre.  

J'étais sauvée.

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