CHAPITRE 6 : L'attaque du loir somnambule

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Le marron de la sève d'un arbre suit lentement son cour de ses racines à ses bourgeons. Le caramel brun colle sur les doigts. L'arôme du chocolat noir embaume l'air. L'argile ocre sèche pour devenir couleur terre sur la pâleur de l'épiderme. Le marron doux à deux doigts d'être brut, de revenir à ses origines sauvages, semble se perdre dans la nature, pour se glisser dans les iris de quelque enfant égaré. Le bois respire, son souffle s'élève au-delà des cimes des sapins en de vaporeuses volutes , venant à adoucir le ciel tourmenté. Le bois protège les étrangers, il est le foyer des démunis et des exilés. Le marron coule dans nos veines, il est notre refuge comme notre plus dangereux travers. Il nous rappelle à nos origines. De lui, à tout moment peut surgir la bestialité qui sommeille en chacun de nous.

Une douleur lacérait ma chair. Elle se propageait jusque dans mes propres os, et pas un seul de mes muscles ne parvenait à retenir les spasmes dont ils étaient atteints. Mes yeux paraissaient sur le point d'exploser. Mes paupières oppressées me rendaient aveugle à tout pour mieux me maintenir dans la souffrance des milliers de poignards froids brûlant ma peau en feu. La nuit à ma vue m'aidait à continuer d'ignorer le monde extérieur. Le voir, n'était-ce pas désirer empirer les choses ?

Ce n'est qu'un cauchemar, rien qu'un cauchemar. Il n'est en rien de réel, c'est impossible, je ne cessais de me raisonner, en une boucle interminable.

- Lys, hurla une voix, suivie d'un énorme craquement.

Je n'étais pas là. Je n'étais pas là. Que du noir. Toujours le noir. Il ne pouvait rien avoir d'autre, n'est-ce pas ?

- LYS, scanda la voix, d'un ton plus affolé et pressant.

J'ouvris les yeux. Je ne vis d'abord que Manon. Puis, autour d'elle, se dessina un chaos fleuri. Les roses et autres fleurs qui reposaient auparavant tranquillement le long de l'étroite allée de la verrière, étaient désormais dressées en une forteresse protégeant sa taille frêle. Ses cheveux roux formaient une couronne enflammée au sommet de son crâne. Son teint pâle dénotait sa peur, dont la puissance grisait son corps. Quelque chose d'obscur brisait mes côtes, m'empêchant de respirer. Pourtant, tout ce que je voyais, c'était une gamine, qui ne devait pas avoir plus de 16 ans, mordant mon bras. Elle scrutait ma peau ensanglantée de son regard noir. Tout en moi bouillonnait, comme si des cristaux de glace se formaient dans mes veines, pour empêcher le sang d'y suivre son cour. Cette morsure gelée provoquait un courant chaud, censé me permettre d'endurer le choc. Or il ne le rendait que plus douloureux, voire même insupportable. Deux éléments contraires semblaient se déchirer en moi. Dans mon corps statufié, un volcan sortait de terre, excitant le magma furieux. Le peu d'air que je réussissais à inhaler était chargé d'une substance sucrée écœurante.

Sans que je comprenne comment, ni pourquoi, mes muscles se contractèrent, et je crus me décomposer. J'étais une grenade amorcée depuis longtemps, silencieuse, mais prête à exploser sous n'importe quel prétexte. Le contexte comportait toutes les conditions nécessaires. Le moment parfait devait être venu.

Une poussière électrique se mit à crépiter. De minuscules éclairs bleutés recouvrirent mes membres, puis s'attaquèrent à l'être fou, désespérément agrippé à mon bras. Il grognait entre ses lèvres, sa queue de loutre cendrée hérissée. Les éclairs sillonnaient maintenant nos deux corps, marquant le sien de griffures insignifiantes mais saignant à foison. Et lorsque l'emprise de ses crocs se desserra et que l'être, rien de plus qu'une simple fillette finalement, s'écroula, mes pouvoirs disparurent aussi vite qu'ils s'étaient manifestés. Reprenant le contrôle de moi-même, terrifiée, je la rattrapai avant que sa tête ne touche le sol.

Mon regard plongé dans le sien, inexpressif, noir comme du charbon, j'entendis sa voix résonner à l'intérieur de mon crâne.

S'il te plaît, aide-moi ! J'ai si peur là-dedans, gémissait-elle. Je ne veux pas devenir un monstre ! Je ne veux pas contribuer à ce fléau et gâcher des vies, s'emportait la voix étranglée.

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