Le prune égaie le noir, habille les plumes aux reflets ensoleillés du corbeau sur-le-qui-vive. Le prune fait se perdre de nombreux esprits dans son verger enchanté, ensorcelés par l'odeur doucereuse du suc de son fruit. Il invente à l'infini odeurs, textures, émotions, faits, rêves. Il crée des illusions, des mensonges, tisse une toile d'araignée dans laquelle il veut attirer les insectes, mais peut-être même plus que cela. Son parfum imperceptible se joue alors de nos sens ; son sucré envoûtant est omniprésent, il est notre oxygène empoisonné. Sur les écailles d'un serpent ressort le prune, reflet du venin perlant à la dent de l'animal, prêt à mordre à tout moment. Le prune apparaît quand le noir est encore trop timide pour se montrer tout à fait.
Face à ma perplexité, Manon débuta son récit :
- A son aurore, le monde, conscient de ses faiblesses choisit de cacher ses failles ; ce qu'il pensait être un de ses plus sombres secrets. Au fin fond de ses contrées, demeurait un sol lugubre : sur cette terre infertile craquelée par la sécheresse rampent d'étranges racines noires. Ce serait là-bas que ce secret serait renfermé. On raconte qu'il y a un bois hanté de visages effacés, de fantômes du passé, d'animaux assoiffés de sang. On l'appelle la Forêt des Murmures. Là-bas, des nuages de fumée violacée se glissent entre les arbres ; des exhalaisons de guimauve cramées envahissent les poumons. Mais le plus dangereux est loin de tout ce que je te décris. Les tentacules de la folie sombre, ce fléau envoûte tout être s'approchant un peu trop de la frontière, permettant d'étendre encore son territoire de quelques centimètres. En être touché, c'est devenir vide, donc autant dire, ne plus être du tout. Les derniers fidèles de Phesmus continuent de jouer avec des vies comme avec des dés. Seulement, depuis un certain temps maintenant, ils se sont lancés à la recherche de nouveaux associés, ou plutôt devrais-je dire, de nouvelles poupées à manipuler. Parmi eux, des rejetés de ce monde, isolés, nourris d'une haine farouche, à la rancune engraissée ; ils ne respirent plus que pour une chose : la vengeance. Les plus dangereuses ? On les appelle les sœurs du puits de mélasse.
Nées du premier clair de lune qui s'est levé sur le monde, ces trois soeurs ont coulé du ciel noir comme des gouttes de peinture d'une toile. Unies par un lien incompréhensible et nous semblant incassable, elles se trouvent être aussi différentes que similaires.
La benjamine, Ombrage, paraît n'avoir pas plus de dix ans, malgré ses siècles de vie. Dotée d'un visage rond enfantin, son air inoffensif est renforcé par ses jupons de crinoline, de taffetas noirs et de dentelles, sans oublier sa poupée de porcelaine toujours coincée entre ses bras. Elle est probablement la plus confuse des trois, à cause de son don divinatoire. La fillette ne parvient jamais à savoir véritablement si elle rêve ou non. Ses songes sont, en réalité, de possibles visions du futur, toujours mouvantes, qu'elle partage avec ses sœurs de sa petite voix aiguë hystérique. On raconte que ses yeux sont translucides comme des cristaux de verre et sont toujours plongés dans le vide. Derrière le long rideau de ses cheveux de jais qui tombe à ses pieds, son corps frêle apparaît fantomatique. La pâleur cadavérique de son teint, dû au puits restreignant le passage des rayons solaire, est dérangé par les constellations de tâches de rousseurs envahissant son visage et parsemant ses épaules. C'est le dernier grain apparent de folie joyeuse chez cet enfant à l'expression permanente d'un étonnement terrifiant.
La cadette, Ténèbre, possède le physique épanoui d'une jeune femme de vingt ans. Ses pommettes levées dans de rares sourires dévoilent des dents d'une blancheur éblouissante. Rien qu'un sourire suffirait pour tromper les plus naïfs, piégés, imaginant une quelconque sincérité restant dans l'âme de ces créatures. Des mèches brunes courtes encadrent sauvagement ses oreilles et son front. Son menton droit et fier rappelle une ancienne voix d'autorité, une attitude terre à terre, réaliste. Peut-être une marque de son pouvoir ? La jeune femme est omnisciente. Le présent du Pays des Merveilles n'a aucun secret pour elle ; mais sa mémoire ne peut recueillir que des fragments sur le long terme. On la dit la plus dangereuse des trois par son caractère bornée, surtout par son aura, qui d'après certaines personnes est pareille à l'éclat de celle d'Izotz à sa mort. On ne peut qu'en supposer la noirceur...
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Le Monde en Bleu
FantasyLys déborde d'émotions ; elle déborde d'une magie bleue qui n'attend jamais rien d'autre qu'un coup de cœur pour s'échapper de son contrôle. Seulement un soir, alors qu'elle voulait juste se défouler, tout bascule. Quelqu'un est blessé, peut-être t...