Le vert. Celui des arbres, éclatant, nourri par la lumière du soleil, celui des feuilles qui protègent des pluies les êtres des forêts. Ce vert clair, chanceux, qui tournoie dans les airs, et habille les lutins. Ce vert rieur, qui danse à l'horizon des clairières, de bon augure. Ce vert qu'on attrape dans ses yeux, sans trop y réfléchir, juste pour le plaisir. Un vert naïf et enfantin, que l'on cache sous son aile, protecteur de l'irréel. Le vert apaisé et assombri des feuilles de thé, trempées dans une eau brûlante et vaporeuse, destinées à disparaître.
Après avoir fait mon choix, je me concertais avec Arthur sur l'endroit où je pourrais me rendre pour avoir la paix. Il rit à mes mots, disant qu'ici, la paix n'existait tout simplement pas en tant que telle, et que le mieux que l'on puisse avoir, c'était un silence dérangé par des rires étouffés. Je levai les yeux au ciel, sans rien dire, et il soupira avant de me répondre que « Le Chapelier Fou savait faire le thé. »
Je prenais ça pour une sorte de réponse comme une autre, mais allant plus dans mon sens malgré tout. Je hochai du menton, lui faisant signe que je le suivais. J'arrêtai brusquement mon geste, électrisée par l'interrogation qui venait de me traverser.
- Qu'est-ce que tu entends par "Le Chapelier Fou" ?
Il me regarda incrédule, comme si jusque là, aucune autre de mes questions n'avait été plus sotte que celle-ci.
- Le Chapelier Fou, aussi fou que son titre l'annonce, donne du sens à notre univers. Il pourrait presque être déclaré le plus sain d'entre nous tous. Sans lui, sans sa lumière, nous serions probablement tous perdus depuis longtemps. Il a un don, à la fois semblable et distinct du tien selon les aspects, affirma-t-il d'un ton grave et solennel, son nez tressautant à la tranquille cadence de ses mots. Il représente le lien qui nous lie les uns aux autres. Sans lui, on ne pourrait se parler, se retrouver, se disputer comme se réconcilier. Sans lui, nous serions seuls au monde, acheva-t-il, une ombre sur le visage.
Je fixai son nez quelques instants, interdite. Tout m'apparaissait encore insensé. Cet endroit... avait réellement l'air d'être sorti de ce conte d'enfants. Pourtant, au fond, je comprenais de quoi il en retournait. Comme si c'était inscrit dans mon ADN. Alors même que tu t'es promis à ton départ de l'orphelinat de ne plus jamais te laisser guider par un étranger. Cette promesse, tu l'as cent fois répété en toi-même, comme une prière.
Je me pinçai le bras sans rien dire. Depuis longtemps, j'avais cessé de faire attention aux voix murmurant dans mes oreilles, tendant mes muscles. Mon papa me disait petite qu'il suffisait de se pincer pour que, trop effrayées, elles se taisent. Être enfant me manquait beaucoup parfois, juste pour croire sincèrement à toutes ces histoires, demeurant prisonnières de mes souvenirs innocents. Mon père avait disparu dans la nature alors que je n'avais que quatre ans. Le mot "maman" n'existait pas dans mon histoire. On m'avait alors placé en orphelinat, car les autres individus composant ma « famille », ne pouvaient ou alors ne voulaient pas de moi. Peut-être même n'avais-je jamais eu de famille. Rejetée, toujours, inlassablement, de façon imperceptible et inhabituelle, sans raison particulière.
Pour détourner mon attention de ces noires pensées, je reprenais la discussion, l'air distraite.
- Pourquoi avoir dit que "Le Chapelier fou savait faire le thé" ?
- Parce que c'est lui qui organise les tea days, voyons, s'exclama Arthur, outré, bondissant sur un talus au bord du sentier.
Devant son expression, je choisis bien sagement de ne pas lui poser plus de questions à propos du Chapelier et des tea days. Je le découvrirais sûrement en temps et en heure, et pour le moment, cela ne faisait clairement pas partie de mes priorités.
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Le Monde en Bleu
FantasyLys déborde d'émotions ; elle déborde d'une magie bleue qui n'attend jamais rien d'autre qu'un coup de cœur pour s'échapper de son contrôle. Seulement un soir, alors qu'elle voulait juste se défouler, tout bascule. Quelqu'un est blessé, peut-être t...