CHAPITRE 3 : La légende

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Le gris brouillard comblant les incertitudes, racontant des histoires, des bobards. Les nuages qui cachent les pensées et les peurs, les nuages qui embrouillent les âmes. Le mélange du ying et du yang, dont l'équilibre ne réside en aucun des deux côtés, préférant l'un à l'autre selon l'envie. Le gris, mainteneur des émotions de l'univers. Le gris qui raconte milles merveilles. Le gris d'une histoire faisant peur aux plus hardis, mais qui pousse à la curiosité les plus téméraires, les Sauveurs.

- Il y a très longtemps de cela, alors que les univers venaient de voir leurs premières lueurs, nos deux mondes vivaient en parfaite harmonie. La Terre et le Pays des Merveilles marchaient ensemble à l'unisson, et leurs habitants jouissaient d'un même Soleil radieux, d'un bonheur inconditionnel. Et cette paix dura, pendant un temps.

Deux dieux veillaient sur ces mondes comme sur leurs enfants. Ils se nommaient Izotz et Adana. L'un Dieu des Étoiles, l'autre déesse du Soleil. Et ils s'aimaient d'un amour déraisonné, absolu. Pourtant ils étaient condamnés à être séparé l'un de l'autre éternellement, le seul instant durant lequel ils pouvaient se voir et se parler, se résumait à une heure ; celle du crépuscule, alors qu'étoiles et Soleil s'embrassaient dans l'immensité du ciel. Le cour des choses se déroulait ainsi depuis des millénaires. Rien n'aurait pu le changer.

Rien... sauf La Voix qui résonnait dans l'esprit du Dieu des Étoiles. Cette voix qui vibrait si fort en lui prenait une place démesurée dans son âme, depuis qu'elle s'y était installée. Elle se faisait appeler Phesmus, et déclarait donner les meilleurs conseils à Izotz. Phesmus prétendait avoir la solution à tous les problèmes du dieu céleste, mais surtout, il se vantait de connaître un secret qui permettrait de réunir définitivement les deux amants, de sorte que plus jamais ils ne soient éloignés l'un de l'autre.

Izotz résista longuement à la pomme empoisonnée que lui présentait sans cesse Phesmus, lequel se proclamait régulièrement comme « responsable de toutes les Folies et du début de tous supplices ». Or Izotz ignorait ce que représentait la Folie ou encore le supplice. Il n'avait conscience que de la souffrance de la séparation qu'il subissait nuit et jour, loin de l'être adoré. Il possédait encore l'esprit naïf et corruptible d'un enfant qui ne pensait le monde qu'avec candeur et bienveillance.

Alors, lorsque Adana lui annonça qu'elle attendait un bébé, le Dieu des Étoiles sauta de joie, puis sombra dans une triste léthargie, à l'idée qu'il ne pourrait éduquer sa descendance, qu'elle  demeurerait loin de lui. Torturé par le chagrin, un sentiment d'injustice envahissant son coeur, Izotz se fit ensorcelé par les doux murmures de Phesmus. Bientôt, il n'eut plus en tête qu'une seule chose : dérober le Temps et délivrer la Folie sombre. En effet, ces deux entités, devaient, selon Phesmus, lui permettre d'être présent pour toujours auprès de sa famille.

Izotz se mit en quête de celles-ci, ne se doutant pas que son départ précipité, ferait naître en Adana, un profond désarroi, et créerai, le déséquilibre entre les deux univers. Des jours et des nuits durant, il ne montra signe de vie à sa moitié, cherchant dans l'entre-monde les objets destinés à les réunir pour toujours.

Cette attente fit dépérir la déesse, et elle se trouva en proie à de sombres pensées dévorant peu à peu son cœur, jusqu'à ce qu'elle se désintéresse de la paix humaine, et de son travail d'équilibre des deux mondes, de la vie et la mort, du jour et de la nuit. Si bien qu'au retour d'Izotz, il ne restait de sa promise qu'un lys bleu, près de laquelle, une ravissante petite fille à la chevelure blonde et aux yeux gris-bleu intenses était couchée.

Le Dieu des Étoiles, terrassé par la douleur de la perte de Adana, pleura longuement, les larmes formant une rivière, frontière définitive entre les deux univers, et empêchant le contact entre les peuples, qui ne pouvaient se voir désormais. Il libéra alors le Temps et la Folie sombre, qui ne lui étaient plus utiles, sous les injonctions empressées de Phesmus. Alors, dans un monde, il fit nuit, dans l'autre, jour, et les minutes qui s'égrenaient perdaient toute logique, pouvant courir comme des lièvres affolés ou ramper comme des limaces amorphes. La Folie sombre quant à elle, trouva refuge chez trois sœurs, celles du puits de Mélasse : Ombrage, Ténèbre et Noirceur. Les trois femmes, devineresses aux étranges pouvoirs, nées en même temps que le Pays des Merveilles, furent envahies par cette voix mystérieuse et séduisante, et n'eurent bientôt plus de pensées de paix et de bonheur. Destinée à semer le chaos, l'entité restait dans l'ombre et agissait selon ses propres désirs, aidée par les sœurs.

Izotz, déchiré par l'horreur de son acte, s'enterra dans les abysses les plus profondes de la Terre, où il se condamnait à un sommeil éternel, peuplé de cauchemars. La fille d'Adana et d'Izotz, seule au monde, fut recueillie par des Merveilleux (habitants du Pays des Merveilles). Chaque soir, à l'heure du crépuscule, la petite était prise d'une sorte de transe, comme si elle cherchait à joindre ses parents. Mais il apparut, bien plus tard, que cet enfant protégeait juste le Pays des Merveilles des agissements de la Folie sombre, dirigée par les restes de l'esprit de Phesmus.

Malheureusement, lors d'une attaque particulièrement puissante des sœurs, la fille des deux Dieux créateurs, nommée Anaé par sa famille adoptive, mourrut. Elle eut juste le temps de transférer ses pouvoirs dans ton monde, où il naîtrait une « Alice », héritière d'Anaé, qui vivrait pour garantir un équilibre entre les univers.

Cependant, aujourd'hui, son existence ne suffit plus à protéger les Merveilleux. Les sœurs sont devenues trop puissantes. Nous avons besoin d'elle plus que tout, sinon... Sinon, nous nous entre-tuerons, fous de rage et d'amertume, nos songes dénués de raison et de contrôle, comme... Possédés.

Je n'osais plus regarder Arthur dans les yeux à présent. Ce ne pouvait être moi. Je ne connaissais rien de tout ça, je n'avais rien à voir avec cette histoire, c'était impossible, je-

- Je comprends que cela fasse beaucoup à digérer en peu de temps, mais tout ce que je te demande, c'est... De rester. Peu importe que tu me crois ou non, que tu sois bien une héritière d'Anaé ou pas, une présence supplémentaire pourrait nous aider à demeurer sain d'esprit. Surtout quelqu'un de ton monde, réputé pour être très... Terre-à-terre, finit-il, dans un de ces sourires indescriptibles, marquant le désespoir qui le hantait, et la pointe d'humour sur laquelle il s'était efforcé d'achever.

Je soupirai, m'asseyai et prenai ma tête dans les mains. Je ne croyais à rien de tout cela mais... Je n'avais pu rien à faire là-bas. J'avais blessé, peut-être tué quelqu'un. Je n'avais pas de proches, mis à part des parents adoptifs me poussant dehors, et une amie qui m'avait prise sous son aile un peu par hasard, et qui m'appelait de temps en temps, mais de qui je ne me sentais pas particulièrement proche. En résumé, j'étais seule, incomprise, bizarre, asociale, et totalement cinglée et hors-norme, que ça soit à cause de mes pouvoirs cachés ou de mon style vestimentaire, ma sensibilité et j'en passais...

Alors qu'ici... Je ne paraissais pas si différente, si à l'écart. Et peut-être que je trouverais une explication à mes « éclairs bleus », à mes origines, à tout ça... Une raison de vivre, d'exister. Quelque chose me donnant envie de respirer, de courir, de flotter, de voler, d'aimer. De tout recommencer, peut-être. Quelqu'un. Un souvenir. Un désir.

Je levai les yeux, lesquels croisèrent immédiatement ceux de mon homme-lapin au nez frétillant, semblant attendre impatiemment une réponse.

- Je reste.

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