Les Feuilles Mortes

Chapitre 4 - Névi

Automne se présenta dans la salle à manger royale, couverte de sang. Son visage avait l'air trempé de la couleur rouge. Une scène semblable à celle que j'avais pu apercevoir petit. Mon père l'avait convoquée pour qu'elle lui fasse part des résultats de la bataille qui venait d'avoir lieu.

 Elle parcourut la salle pour se tenir près de mon père, le roi, des pas laissant derrière elle des gouttes de sang sur le sol marbré. Le reste des personnes à table, main sur la bouche et l'autre pinçant leurs nez, restaient scandalisés face à cet effroyable spectacle. 

Le bruits des bottes d'Automne claquant sur notre sol résonna dans la salle à manger toute entière, contrastant avec le mutisme des gens présents dans la salle. Son visage fermé, les lèvres pincées et son regard droit sur mon père faisaient écho à la colère qu'elle avait su me montrer à mon égard mais cette fois-là cela était différent. Elle n'était pas juste en colère. Elle était en ébullition, au bord de l'implosion. 

Je réalisai à cet instant le pouvoir qu'elle avait et comment en un claquement de cil elle pouvait tous nous anéantir. Elle se tint à côté de mon père et lui fit une référence, tout en gardant son regard braqué sur lui. Des cris de désapprobation se firent entendre. Mais mon père ne semblait pas s'en soucier.

- Quel est le résultat de la bataille ? lui demanda-t-il

Automne n'avait bien entendu pas le droit de lui adresser la parole alors elle se pencha vers le transmetteur, lui chuchotant sa réponse pour ne pas se faire entendre. Le transmetteur servait aux gens d'en-bas de faire part de leurs propos aux gens d'en-haut dans des cas plutôt rares. Nous ne souhaitions pas recevoir les idées des gens d'en-bas de toute manière. Le cas d'Automne était plutôt différent puisqu'elle était la leader et devait nous faire part régulièrement des avancées. Les transmetteurs avaient auparavant des ancêtres venant des gens d'en-bas mais au fil des mélanges ils nous ressemblaient de plus en plus. Ils portaient des yeux bleus et avaient une peau conforme à la nôtre, seuls les cheveux frisés blonds de cet homme ici nous rappelaient d'où il venait vraiment.

- Elle me dit qu'ils ont perdu beaucoup d'hommes et que les rebelles se sont enfuis.

Le roi se montra décontenancé puis soudainement pris de fureur tenta frappa son poing contre la table faisant sursauter l'ensemble de la salle sauf Automne. 

- Comment cela se fait-il que tes hommes soient morts et que ces satanés rebelles aient pu si facilement s'évader.

Automne ne répondit pas. Les poings serrés, elle ne dit pas un mot. 

Le roi se leva et attrapa Automne par ses cheveux frisés, ils ne coulaient plus par eux-mêmes derrière son dos mais étaient tirés par la force de mon père. Automne ne manifesta aucune émotion comme déjà trop habituée par la douleur. Il appuya ensuite lourdement sa chaussure avec son talon sur la tête d'Automne qui se retrouva avec son profil gauche sur le sol froid de la salle à manger. Pas un semblant de bruit de sa part. 

- As-tu pensé à ce qui pourrait arriver à ta très chère sœur ? questionna-t-il

Automne, toujours à terre, fit des gros yeux de surprise. Je ne savais pas qu'elle avait une sœur et je me demandais alors comment mon père avait une telle information. Elle fit signe au transmetteur de revenir et le roi la relâcha pour qu'elle puisse s'exprimer. 

-Elle me dit que c'est de sa faute, elle n'a pas su protéger ses hommes et les rebelles étaient beaucoup trop nombreux pour eux.

Elle reçut une claque de la part du roi laissant une légère marque rouge sur sa joue. Cette confession de sa part semblait l'avoir plus chamboulée que le coup lui-même puisqu'elle resta le regard plaquée au sol, entrain d'essayer de contrôler ses tremblements. Mais il paraissait que j'étais le seul à voir ses faibles frémissements qui la parcouraient.

 Quelque chose avait dû sûrement se passer pour qu'elle se comporte ainsi devant la famille royale et les gens d'en-haut. Je connaissais sa dureté et que normalement elle ne montrait pas ce type d'émotions en face de nous. 

- Très bien. Laisse-nous tranquille maintenant. lui lança le roi.

Automne resta un instant immobile puis décida de s'éclipser de la salle, lançant au passage un dernier regard haineux aux gens d'en-haut. Ses yeux s'attardèrent un instant sur les miens empreints de rancœur, mais se dessinait également, au creux de ses iris, un tant soit peu de tristesse. Une fois partie, les gens d'en-haut continuèrent leurs conversations qui portait en majorité sur Automne. 

- Dites donc, quelle féline vous aviez affaire votre Altesse ! s'esclaffa le conseiller de l'économie

La salle entière se mit à rire également. 

- En effet, elle a un sacré tempérament qui me faudra dompter le plus rapidement possible. répondit le roi

-Je peux vous aider ce soir si vous le souhaitez. répliqua le conseiller de l'agriculture

Une nouvelle fois une vague de rire emporta la pièce avec des hommes se tenant le ventre de spasmes. 

Je décidai de me partir au milieu de ces plaisanteries. 

Mon père me demanda fermement où j'allais mais je laissai ses paroles se volatiliser dans l'air.

 J'arpentai le long couloir blanc et doré, et me tins devant la fênetre parce que je savais qu'elle se trouvait en bas. 

Elle s'était écroulée dans le reste des feuilles mortes qui commencèrent à se dissiper à cause de l'arrivée de l'hiver. Elle ressemblait à une peinture, son corps marron fondu dans cet ensemble multicolore, des larmes traversaient abondamment son visage habillé de sang.

 J'avais l'impression que j'avais gagné car je ne l'avais jamais vue dans un état si vulnérable et si elle vit que je l'observais, j'aurais pu risquer d'avoir ma tête coupée. Je gardais ce moment pour moi tâchant de ne pas me faire repérer à travers les rideaux.

 Automne se leva soudainement car elle semblait sentir la nuit se profiler. Elle donna un coup de pied dans le tas de feuilles mortes, ces dernières s'envolèrent pendant qu'elle disparut entre cet ombrage.