Les vies dansent

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Les timides rayons du soleil, derniers survivants de l'été fuyant, tentent de se frayer un chemin dans la brise automnale. La fraîcheur n'est apparemment pas un obstacle suffisant pour dissuader les promeneurs ; les enfants vêtus de leurs manteaux et pour certains de leurs petits bonnets, courent joyeusement sur le long tapis que forment les feuilles mortes qui crissent sous leurs pieds. Seules les teintes orangées rappellent la saison passée. Les températures commencent à baisser et le délai entre le lever et le coucher de l'étoile la plus chaude se fait de plus en plus court. L'idée que le vent souffle les souvenirs heureux d'un été le fait frissonner ; pourtant, il n'a pas froid. Le feuillage des arbres se dessèche, devient fragile et tombe sous ses yeux qui admirent le paysage changeant par cette fenêtre qui témoigne de sa nostalgie. Dans ses mains tremblantes se trouvent des feuilles noircies par des mots qu'il se refuse de relire, de peur que l'encre dévoile ses larmes trop longtemps gardées en otage. Un chapitre se termine, mais cette fin doit être le début d'un autre : mêmes les pages oubliées méritent d'être aimées.

Une branche vient de s'échouer dans un nid feuillu, elle craque sous les pas des passants. Son cœur lui, ne se brisera pas encore ce soir. Passifs, ses battements le surprennent presque. La radio un peu trop forte d'un conducteur le fait sortir de ses pensées mornes, c'est pour cela qu'il continue de composer. À son rythme, il retrouvera ce qui l'anime. Après tout, en cette saison, les arbres aussi perdent un élément important, pour mieux se rhabiller au printemps. Un semblant de sourire se dessine fébrilement sur ses lèvres abîmées ; il se souvient qu'il n'est pas seul. Celui qui ne cesse jamais de l'écouter et qui ne l'abandonne pas, c'est son instrument, dont les touches blanches du clavier dominent les plus foncées.


Elles se manifestent par des formes,

Par des cauchemars, ces choses hors normes.

Les peurs, elles m'angoissent, m'empoisonnent ;

Elles s'accrochent à mes bras, mes jambes, à tout,

Elles me rongent, ces douleurs, un peu partout.

Les peurs, c'est vrai, je les crains, je les fuis ;

Elles me hurlent, m'oppressent sans un bruit.

Elles brisent le vent, rendent le soleil absent ;

« Ce qu'il me manque, ton sourire d'avant. »


Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'hiver s'est découvert. Cette saison est une contradiction pour nous, une métaphore en elle-même, un phénomène qui couvre des blessures qu'on ne soupçonne à peine. Tout est blanc. Dehors comme à la maison. Les toits camouflés, les routes verglaçantes, les voitures aux vitres givrées. Les murs non décorés, les draps froids, sa peau pâle, son teint blafard, ses longues nuits sans sommeil. Comme une évidence, les sept notes de son piano le sont elles aussi. Que l'on se couche tard, que l'on se lève tôt ; le jour n'est pas d'humeur à se faire voir. Les journées sont courtes, l'air est froid et humide, comme son cœur et ses pupilles. À l'extérieur, le ciel n'a pas une meilleure forme que son admirateur du soir. La vision de l'horizon est brouillée, la luminosité gênée par ce brouillard omniprésent. Et pourtant, c'est dans cette période hivernale que brillent plus intensément les étoiles.

Se réchauffer le corps est facile. Un plaid douillet, un feu de cheminée qui crépite à nos pieds, un chocolat chaud que le palais ne peut que remercier. Mais ressentir la chaleur de son cœur est difficile. Lorsqu'une absence nous glace et que nous ne tenons plus en place. Lorsqu'un silence nous fait froid dans le dos. Lorsqu'une souffrance nous brûle de douleur occultant les moments emplis de douceur. Il puise sa force dans son épuisement, il s'efforce de retrouver le courage dont il se munit lors de ses insomnies. Une fausse note, un coup de blues et la musique triste qui se rejoue dans son esprit est loin d'être partie. Ses cahiers sont griffonnés, ses carnets gribouillés ; sans harmonie, sentiment ou émotion. Elle est elle aussi, en adéquation avec la saison : sa page. Un syndrome dont il ne guérit pas. Enfin, c'est ce qu'il croit.

Par sa fenêtre, il observe ces mêmes enfants toujours émerveillés peu importe la météo que le temps leur offre. Ils forment des boules avec les cristaux suffisamment solides pour pouvoir les superposer, les transformant en de beaux bonhommes de neige. En cet instant, comme si venait le calme après la tempête, un rire se fait entendre. Et, à sa grande surprise, c'est le sien. Finalement, la pluie peut bien tomber faisant écho à ses pleurs ! Parce que ce soir, ce qu'il vient de découvrir, c'est qu'entre ses torrents de larmes et ses éclats de rire naîtra l'arc-en-ciel de sa vie.


Chaque jour, le soleil me tend les bras,

Le ciel, d'un bleu étincelant ; alors, ça va.

J'observe les lumières s'illuminer puis s'effacer.

Là-haut, les couleurs enlacent les airs,

L'enfant du passé me sourit ; ce timide éphémère.

Sur un air de piano, l'atmosphère monotone ;

J'écris, j'en perds mes maux, les couleurs de l'automne.

Ton regard se pose naïvement, sans craindre :

« Et si l'univers finissait par s'éteindre ? »


Comme une nuit qui s'éclipse pour que se lève, le soleil. Comme ces larmes qui sèchent pour laisser se dessiner ce sourire qui toujours émerveille. Comme la pluie qui cesse de tomber pour que le beau temps s'éveille. Naturellement, elle se réveille ! En symbiose avec sa saison, se fait la floraison. Les plantes voient leur premier bourgeon. Elles naissent, revivent, s'épanouissent. En accord avec la nature, l'envie de composer, elle, l'effleure sans démangeaisons. Pour la première fois depuis un moment, il n'angoisse pas, cela ne le gratte pas. Pendant que les animaux sortent de leur hibernation, que les oiseaux reviennent de leur migration : le musicien qu'il est retrouve son inspiration.

Installé devant l'instrument, sa respiration en chœur. Ses yeux sont fermés, pourtant ses souvenirs lui rappellent les couleurs. Ses longs doigts fins dansent sur le clavier, sans faux pas, sans fausses notes. Il pianote sur le clavier comme l'enfant qu'il était, sautillant dans les champs de fleurs accompagné de ses lumineux éclats de rire. Il est temps, avec l'arrivée du printemps, qu'éclosent ses rêves trop longtemps terrés. Ses mots résonnent au rythme des oiseaux chantants, ayant eux-aussi retrouvé leur voix. La mélodie aussi douce soit-elle traverse sa fenêtre, atteignant des oreilles curieuses, recherchant peut-être encore leur voie. Il tourne la tête, son regard n'a plus de voile. Désormais, quoi qu'il comète, il y mettra des étoiles.


Dans le bruit, le silence m'étouffe ;

dans le vide, l'absence s'essouffle.

Ta douceur efface ces feuilles échouées,

elle enveloppe d'un geste les souvenirs d'été.

Sans ta flamme, je m'inquiète de ne rien voir ;

« laisse-moi être ta lumière dans ce noir. »

D'un fragment, une seule note ;

une évidence forcément, je pianote.

Si pendant longtemps je t'ai cherchée ;

toi, l'âme d'enfant égarée,

Te voilà à nouveau à mes côtés,

pour ne plus jamais t'oublier.


* Un texte en collaboration avec Jess !

Voyage entre les pagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant