Un sourire sous la pluie

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Le silence était présent. Seul le son des feuilles qui tombaient, balayées par le vent, se faisait entendre. Je pris une grande inspiration en fermant les yeux et pris enfin le courage pour entrer. Anxieux, le cœur battant à vive allure, je réfléchissais à quoi dire une fois arrivé... Mais le chemin fut beaucoup trop court pour le faire. J'étais déjà arrivé à destination, après seulement quelques minutes de marche. Face à elle, je restais immobile pendant un bref moment, ne sachant quoi faire, hésitant même à retourner sur mes pas.

Mais je m'agenouillais et m'installais. Je ne veux plus repousser ce moment. J'aurais dû venir plus tôt... Je le sais. Mais je n'en avais pas le courage. Je n'étais surtout pas prêt à tourner la page, c'était encore trop tôt pour moi. Je ne voulais pas tirer un trait sur elle, sur nous, sur toutes ces années.

"- Pardonne-moi..., dis-je difficilement. Pardonne-moi d'être en retard."

Pendant un long moment, plus aucun son ne sortait de ma bouche. Que dire après trois ans ? Que ma vie avait sombré dans le désespoir, qu'elle était devenue un long tunnel noir et interminable ? Que je n'ai pas su me relever et qu'à la place, j'ai flanché ? Malgré l'aide de mes proches et surtout celle de mon frère, je ne me suis jamais senti bien depuis. J'étais vide et seul. Je savais que quelque chose m'avait été enlevée, je le sentais. Alex refusait de me voir dans cet état et faisait tout pour me changer les idées, mais ça ne fonctionnait pas. Je le voyais dépité, à court d'idée mais sa bonne volonté et son amour continuel reflétait dans mon tunnel, comme une lumière, une lueur d'espoir. Alors je la suivais, marchant dans cet écho où je suis seul, enfermé entre ces quatre murs.

"- Va la voir, m'avait-il dit."

Je n'étais toujours pas prêt à ce moment-là et pourtant... Me voilà. Trouvant le temps long et tentant de combler les blancs, j'inspirais un bon coup et expirais aussitôt nerveusement. Un léger sourire se dessina inconsciemment sur mon visage, sans doute le premier depuis trois ans.

"- Est-ce que tu te souviens de notre première rencontre ?"

Nous étions des enfants naïfs et innocents. Notre père avait construit une cabane dans notre jardin et elle était devenue notre repère secret à Alex et moi. On y passait des heures et des heures à nous imaginer tout un tas de choses, à inventer des personnages en tout genre, des histoires improbables avec des scénarios incroyables. Puis nous y avons accueilli un nouveau membre. Elle était devenue la princesse de notre château. Princesse que nous, chevaliers, devions protéger contre ces bandits inventés de toute pièce. Elle venait à peine d'emménager dans le quartier mais nos parents, trop aimables et enthousiastes à l'idée d'avoir de nouveaux voisins, les avaient invités chez nous. Nous n'avons pas perdu de temps, Alex et moi, à faire d'elle, le nouveau membre de notre petite bande.

Le temps se gâta. Les nuages se regroupaient peu à peu et le ciel passa du bleu au gris en une fraction de seconde. De premières gouttes de pluie tombaient, mais je n'en tenais pas rigueur.

"- Ouvre-toi à elle, n'aies plus peur. Ce n'est pas de ta faute, il m'avait dit."

Alex avait raison, ce n'était peut-être pas si mal d'être venue la voir. Je ne pouvais pas avoir de réponses à mes questions, mais au moins, je pouvais lui parler, lui dire ce que j'avais sur le cœur. La pluie continuait à tomber. Mais me remémorer de nos moments me faisait un bien colossal tant cela me rendait nostalgique. Comme si on déchargeait un à un de lourds poids que je portais depuis toutes ces années. De notre première rencontre, aux moments les plus mémorables passés ensembles. Tous ces bons souvenirs, je les lui rappelais. Et malgré le temps qui s'abattait cet après-midi, cela me redonnait le sourire, comme si je revivais tous ces beaux moments.

"- J'aimerais tant que tu sois là... Dis-je en baissant ma tête."

Je sentais mes vêtements devenir lourds et les gouttes couler le long de mon visage. Mais je ne bougeais pas. Était-ce pour me punir ? Était-ce pour me laver de toutes ces pensées négatives ? Je me souviens alors de ses paroles, celles qui auraient dû me donner la puce à l'oreille.

"- Tu sais Ayden, j'admire les personnes comme toi. Tu es tout le temps souriant et optimiste et tu es quelqu'un avec la main sur le cœur, toujours prêt à aider les autres. Mais est-ce que tu penses vraiment pouvoir sauver tout le monde ?"

À ce moment-là, je n'avais pris que ses compliments en compte, sans faire attention au reste. À ces paroles, à son visage et à ses poignets qu'elle cachait avec son pull beaucoup trop large pour elle. Et je lui avais répondu sans réfléchir que oui, je sauverais tout le monde. Quel mensonge. J'ai réalisé beaucoup trop tard le sens exact de ses mots. Elle m'appelait à l'aide, elle comptait sur moi. J'aurais dû le comprendre... Elle était seule mais je ne le savais pas. Elle qui était si souriante à nos côtés et qui aimait partager ses passions. Elle n'était pas heureuse et elle nous le cachait. Pourquoi faire semblant ? Pourquoi n'avoir rien dit ? Je n'ai rien vu, rien remarqué.

"- Je m'en veux tellement..."

La pluie n'était pas prête de s'arrêter. Peut-être était-ce sa réaction à ma venue ? Ou alors est-ce ma peine qui s'exprime autrement ? Après de longues minutes à rester planté là, je laissais échapper un soupir. Je déposais sur la pierre un bouquet de fleurs, des roses, comme elle les aime. Je caressais du bout des doigts les lettres qui y étaient gravées formant le nom de Rose Jones. Un sourire se dessina sur mon visage. Un sourire si triste, plein de remords, plein de regrets. Un sourire qui s'effaça aussitôt pour laisser couler mes premières larmes. Pourquoi fallait-il qu'il en soit ainsi ? Pourquoi est-elle partie si vite ? Pourquoi est-ce qu'il a fallu que ce soit elle ?

Et puis je lui déposais mon dernier présent prêt du bouquet de fleurs. Une photo de nous trois sur laquelle nous étions heureux, le sourire jusqu'aux oreilles dans notre cabane remplie de magie. J'eus un petit pincement au cœur en la regardant aussitôt trempée par le temps.

Mais je me dis qu'aujourd'hui, avec cette photo ici, il y aura eu au moins un sourire sous la pluie.


Voyage entre les pagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant