Qui suis-je ?

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Qui suis-je ? Où suis-je ? Comment suis-je arrivée là ? Tiens... Je suis une fille. Tiens je connais la différence entre une fille et un garçon, entre la gauche et la droite aussi. Je sais ce qu'est le froid... et le chaud également. Mais je ne sais toujours pas ce que je fais là.

J'ai les yeux fermés, les paumes posées à plat sur... un sol dur et froid. Ah, c'est donc ça le froid que je sentais tout à l'heure.

Plic. Plic. Plic.

Des gouttes ? Non une averse plutôt.

Averse, j'aime bien ce mot. J'aime bien l'idée de connaître des mots comme averse ou marais ou vodka. J'aime leurs sonorités.

Un sourire se dessine sur mon visage à cette idée. 

Je m'amuse à imaginer mon corps allongé sur ce sol dur et froid.

Suis-je blonde, brune, ou plutôt rousse ? Comment sont mes doigts ? Longs et fins comme ceux de ce pianiste dont je me souviens avec une étrange netteté ou bien plus courts et plus potelés ?
Et mon visage ? Ovale ou rond ?
Et ma mâchoire carrée et musclée ou douce et arrondie ?

Pourquoi est-ce que je pense à un pianiste ? Et pas à n'importe quel pianiste. Je crois que l'on se connaissait. Je sais ! Je vais me lever et le chercher, voilà, c'est ça, je vais chercher ce brun anonyme au sourire si amical et aux doigts longs et fins.

Mais d'abord, je me demande comment je vais faire pour sortir sans me mouiller. Je sais que je n'aime pas la pluie. Je crois me souvenir qu'elle est froide ici, mais où est-ce ici ?

Je sais qu'il faut que je me lève. Je sais que mon corps est endolori d'être resté longtemps immobile et qu'il faut que je remue mes muscles que je sens impatients de s'activer, mais je me sens comme dans un cocon comme ça les yeux fermés et couchée sur le sol. Je sens que la vie, là dehors est frémissante et j'ai peur qu'elle soit trop rapide pour moi. Allez ! Il faut le faire ! Il faut que je le fasse ! Je vais le faire pour mon pianiste. Il m'attend sûrement quelque part...

Je prends une petite inspiration et ouvre les yeux.

Un toit de tôle troué à de nombreux endroits, qui laisse passer aussi bien la végétation que la lumière rouge du soleil couchant ou la bruine du matin, me surplombe.

Je me redresse et vois le sol jonché de débris de toute sorte : des paquets de chips éventrés, des canettes et bouteilles de bière, un feu de camp a laissé une trace de brûlure sur une dalle de béton. Un ancien squat, on dirait... Je n'ai pas le temps de me demander comment je sais tout cela, car j'entends un bruit, un vacarme plutôt, venant du fond du hangar. Je ne sais même pas si c'est vraiment un hangar, mais pour l'instant je me cherche seulement une cachette. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai peur.

Une terreur sans fondement m'envahit et je parviens à me cacher sous le bureau dans une petite salle. Je fais attention à ne pas bouger, car il est jonché de stylo, de crayon et de feuilles qui pourraient tomber. J'entends des bruits de pas tranquilles, un froufroutement de sac plastique, puis les pas s'arrêtent, je retiens ma respiration presque malgré moi, puis un bruit de verre qu'on pose délicatement contre le béton. Les pas se font moins audibles, mais je sais qu'ils se rapprochent. Je sens presque sa présence à côté de moi. Je sens presque son odeur et son souffle sur la peau de ma nuque. Mes poils se dressent, je sens l'adrénaline courir dans mes veines. Je sais que mes pupilles sont dilatées.

J'ai l'impression que mes sensations sont décuplées. Le temps passe à une vitesse incroyablement lente. Je vois tous les grains de poussière qui flottent dans l'air. Je sens les nœuds dans le bois du bureau branlant contre lequel je m'appuie et plus que tout, j'entends les chuintements du pantalon de l'inconnu et le bruit de doux frottements de ses chaussures contre le sol poussiéreux. Je me sens prise au piège. Je ne peux pas m'enfuir. Je le sais et lui aussi.

Il pousse enfin la porte qui grince. Je me recroqueville tentant de disparaître dans l'ombre, mais il me voit quand même et il me sourit... 

Nouvelle ÈreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant