Sergei

92 14 21
                                    

Le buisson dans lequel je me terrais cachait quelques détails de l'impressionnante bâtisse qui me surplombait de toute sa hauteur, mais je connaissais ses façades grise par cœur et jamais je n'aurais cru vouloir y retourner.


J'avançais dans le couloir sombre du laboratoire. Je passais devant de nombreuses portes fermées. De la lumière passait au ras du sol me permettant de me repérer dans l'espace sans mes lunettes infrarouge : j'en aurais peut-être eu besoin plus tard et je ne voulais pas manquer de batterie.

Je me plaquais contre le mur au moindre bruit craignant un gardien de nuit, un chercheur ou un simple agent de nettoyage qui aurait pu sonner l'alarme avant que je ne puisse le neutraliser.

Après une énième fausse alerte je secouais la tête et marmonnais:

- Tu n'as pas toute la nuit Sergei ! Bouge ton derrière avant qu'on ne meurt tous de vieillesse !"

J'écoutais donc ce conseil particulièrement avisé venant d'un être particulièrement exceptionnel et me dirigeai vers la cage.

La cage... Une pièce équipée de matériel informatique permettant de mesurer l'activité cérébrale de l'occupant de la petite prison de verre en son centre. De son occupante précisément.

La cage était, à proprement parler, une pièce de quelques mètres carrés dont les murs translucide ne permettait aucune intimité. Elle était perpétuellement filmée par différentes caméras placées à des coins opposés de la pièce. Aucun angle mort, à priori impossible de les désactiver simultanément. Pour quelqu'un de l'extérieur du moins. Quelqu'un qui n'avait pas passé la majeure partie de sa vie dans le lab'.

Je n'avais cependant pas à me préoccuper d'elles, ils sauraient tout de suite que c'était moi qui l'avais sauvée de toutes façons, autant assumer ses actes avec classe.

J'avais seulement peur qu'on m'arrête. Contrairement à l'opinion des agents de sécurité et du directeur de cet endroit, ce laboratoire, certe bien gardé, n'était pas une place-forte et encore moins imprenable. Preuve en était : j'étais entré sans problème et pour l'instant pas de taser en vu, ce qui était forcément une bonne nouvelle.

J'avais bien avancé et me trouvais donc rapidement devant la porte de la cage. Je posais la main sur la poignée avant de me raviser puis de faire demi-tour jusqu'à une boîte accrochée au mur.

Je l'ouvris pour baisser le levier qui se trouvait à l'intérieur. Une alarme mugit soudain son agressive mélodie. Ce son sembla néanmoins doux à mes oreilles. Je coupais rapidement tout bruit provenant du dehors me retrouvant seul avec moi-même, c'était très agréable. Le silence ouaté qui m'enveloppait me fit du bien. Je relâchais toute la pression accumulée sans m'en rendre compte et me sentis enfin pleinement libre.

Libre oui... Mais seul.

J'entends les cris des gens qui s'affairent autour de moi. Mais je suis seul au milieu de la tourmente, comme invisible aux yeux du monde environnant. Je prends conscience de mon état, de la vie qui m'a été donnée. Un homme se tient devant moi, immense, implacable, puissant.

Il me regarde longtemps, sans parler, il me fixe. L'espace de quelques minutes, je ne suis plus invisible. Je suis minuscule par rapport à cet être, mais il me voit. Je suis reconnaissant sans vraiment savoir pourquoi. Il me sourit soudain, si l'on peut appeler un faible haussement de la commissure droite un sourire et me dit :

- Joseph souviens toi de cet instant comme l'apogée de ta vie. Tu ne pourras jamais être aussi utile qu'aujourd'hui. "

Et je me trouve à nouveau seul. Allongée sur une table en fer, une femme s'approche de moi.

- Ne t'inquiète pas mon grand, c'est un peu douloureux, mais ça va te faire du bien. Et tu es un garçon courageux de toute façon, hein ?

-Oui, je serai courageux.

-Bien maintenant prends une grande inspiration et..."


La porte de la cage s'ouvrit avec fracas me sortant de ces pensées d'un autre temps. Je me dissimulais dans l'ombre attendant que tous les employés inquiet ou furieux sortent pour m'infiltrer dans la pièce.

J'étais au bord de la rupture, à cause des souvenirs qui remontaient à la surface.

J'étais si près du but et pourtant si loin.

Car la cage en verre était plutôt difficile d'accès et il me fallait remplir une pléthore de codes pour pouvoir y pénétrer.

M'avançant jusqu'à l'ordinateur central, je réfléchis soudain à la suite possible des événements. À partir de là, je n'avais pas de plan, je ne m'attendais pas réellement à arriver jusqu'ici. C'est donc les sourcils froncés que je commençais à pianoter sur le clavier sans réussir à grand chose. Pris d'un accès de rage, je jetais le clavier sur l'écran, je me défoulais ainsi sur tout ce qui me tomba sous la main pendant plus de dix minutes avant de me reprendre.

Dans ma folie passagère, j'avais fêlé le verre de la cage, c'était infime, presque indétectable, mais je le vis et commençais à rire, d'un rire dément, d'un rire inquiétant.

Et je recommençais à jeter tout ce qui me passait sous la main, mais cette fois dans le but de détruire cette fichue vitre qui me séparait d'elle.

Elle... Éden. Ici, on la nommait l'expérience AM2, moi, je lui avais donné un prénom.

D'aussi loin que je me souvienne, je l'avais connue. Elle était toujours là, au milieu des expériences et des tests, entourée de chercheurs en tout genre sans jamais se plaindre. Elle était triste, je le voyais, mais elle faisait tout pour le cacher aux autres. Souvent, je l'enviais, car elle n'était jamais seule, mais j'avais rapidement compris qu'elle se sentait aussi seule que moi.

Lorsque j'étais parti du laboratoire, j'avais fait en sorte de toujours avoir des nouvelles d'elle et il y a de cela trois semaines, on lui avait injecté un produit. Depuis elle était plongée dans un coma artificiel pour "des raisons de sécurité" je n'avais pas réussi à en savoir plus. Mais ma source semblait préoccupée, tout comme le chercheur qui m'avait aidé à me glisser jusqu'ici.

Ayant enfin réussi à briser le verre, non sans quelques coupures, je pris Éden dans mes bras et décidais de partir le plus rapidement possible. Je n'avais que trop traîner.

Nouvelle ÈreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant