Découverte

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Je suis sortie du hangar depuis vingt minutes déjà, vingt minutes de pure torture. Je ressens une folle envie de retourner à l'intérieur.

Tout est trop clair, trop coloré, trop brillant, trop bruyant. Mes sens semblent doucement se réveiller et prendre un malin plaisir à me faire découvrir ce nouveau monde plein de saveurs.

Sergei reste à côté de moi sans rien faire d'autre que me regarder. Ce qui n'est pas sans gâcher ma découverte, redécouverte d'après lui, du monde humain.

Je l'entends d'ailleurs respirer, tout autour de moi, au-dessus de moi et en dessous. Je sens la vie qui grouille de partout, et m'entoure, et m'enserre. Je me sens prise dans un maelström indescriptible, un kaléidoscope de couleurs, d'odeurs, de sons, de sentiments, de regards, de caresses, de cris, de chuchotements, de battement, de frottements, de craquements...

Toutes ses sensations m'assaillent de toutes parts. Il faut que je me focalise sur quelque chose, quelque chose de précis, une ancre. Je regarde autour de moi, à la recherche d'un objet qui pourrait faire l'affaire. Quelque chose que je ne pourrai pas perdre, qui serai toujours avec moi. Mais je ne trouve rien qui pourrait convenir. À part des cailloux et de l'herbe il n'y a pas grand chose.

Je me trouve à l'entrée du hangar, à ma droite se trouve une moto poussiéreuse qui sous toute la crasse et la boue doit être noir ou grise, à ma gauche il y a de l'herbe. De l'herbe qui m'arrive jusqu'aux genoux. De l'herbe et des fleurs. Des fleurs de toutes les couleurs. Derrière le hangar, se trouve une forêt avec ses troncs marron et ses feuilles vertes, c'est le printemps et il fait beau, mais la pluie qui vient de s'arrêter et l'heure matinale me permettent de ne pas mourir de chaud.

Je sens l'orage au loin qui gronde sa tristesse et sa fureur. La dualité qui habite l'orage m'émeut. Le chaud et le froid qui se joignent en une danse quasi-mortelle me fascinent. J'entends tous les animaux alentours, mais aussi la sève qui s'écoule lentement dans les plantes, les trilles joyeux des oiseaux, le cancanement des canards... J'entendais tout cela sans le voir.

Mes contemplations auditives furent interrompues pour le soupir indiscret de mon congénère et le bruit de ses pas. Je me tournais vers lui vaguement agacée, plusieurs phrases acerbes à l'esprit.

J'entendis alors un battement particulier, j'entendis une respiration particulière, un mouvement particulier, provenant d'un cœur, d'une poitrine et d'un corps particulier.

J'ai trouvé mon ancre, je ne pourrais pas le perdre, j'en suis persuadée. Il est mon meilleur ami n'est-ce pas ?

Je m'avance vers lui, je ne sais pas ce que je fais, je ne sais pas ce que je compte faire. Je sais seulement que je fais ce qu'il faut. Je touche son épaule du bout des doigts, j'hésite encore. Je sais que c'est important, je ne sais pas à quel point ni ce que cela implique, mais je sais que j'ai trouvé mon ancre.

Il se retourne, de l'étonnement plein les yeux. Et je me loge entre ses bras, les mains à plat sur ses omoplates. Je me sens maladroite à souhait. La tête contre sa poitrine, j'entends plus fort encore les battements de son cœur. Ce n'est plus la vie environnante qui m'entoure, mais la pulsation du sang qui cours dans ses veines, ce n'est plus le monde qui m'enserre, mais ses bras qui me protègent.

Je ferme les yeux et me focalise sur un sens à la fois. J'entends lorsqu'il avale sa salive, quand il passe sa langue sur ses lèvres, quand il cligne des yeux... Je prends une grande inspiration et sens son odeur, une odeur de nature brute mêlée à celle du hangar qui m'indique qu'il y passe beaucoup de temps. Je sens son t-shirt contre ma joue et mes paumes. Je sens ses mains caressant doucement mon dos comme pour me consoler de quelque chose. J'ouvre alors les yeux et vois les courbes de son avant-bras, je les longe jusqu'à son visage. Le seul visage que je connaisse réellement.

Il me regarde en souriant :

-Heureusement que je suis sur une marche parce que sinon je me sentirais presque petit."
Je ris doucement et recule, mais il me tient contre lui, tendu.

C'est en croisant son regard que je comprends qu'il se produit quelque chose d'étrange. Ses yeux sont fixes et sa poitrine ne se soulève plus. De plus je n'entends plus son cœur battre, je n'entends plus rien. À part cette mélodie, douce mélodie qui semble vouloir me faire prendre conscience de quelque chose, qui insiste pour que je me remémore quelque chose d'important.

J'entends un rire, une réminiscence de mon passé ? Tout comme mon pianiste?... À le simple pensé du pianiste, la mélodie s'accentue, mais je ne parviens pas à me souvenir de quoi que ce soit d'autre.

À le simple pensé du pianiste, la mélodie s'accentue, mais je ne parviens pas à me souvenir de quoi que ce soit d'autre.

Sergei me regarde troubler. Je lui fais un pauvre sourire et me détache de son torse avant de déclarer :

- Je suis fatiguée, je vais dormir un peu."

Il fronce les sourcils, se doutant peut-être que je cache quelque chose, mais n'insiste pas et me laisse rentrer dans le hangar.

Nouvelle ÈreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant