Je suis assise en tailleur sur un coussin violet. Il est en face de moi et il me sourit toujours, mais d'un sourire empli d'affection. Il est très intentionné. Je vois bien qu'il tente de gagner ma confiance, il m'a donné à boire et à manger, mais je suis toujours un peu craintive. Il le remarque d'ailleurs et je vois quelque chose d'étrange et de tourmenter dans ses yeux. Une tourmente bleu moucheté qui m'hypnotise et m'incite à le rejoindre, mais je n'y parviens pas. Je ne veux pas.
Je le regarde, pensive, il a l'air gêné et détourne le regard.
"Qui es-tu ?" La question franchie d'elle-même mes lèvres pourtant closes un peu plus tôt.
Il lève si soudainement la tête que j'ai peur un instant qu'il se soit fait mal. Ses yeux bleu marine écarquillés s'humidifient, je me demande ce qu'il lui arrive.
" J'aurais dû m'en douter... Il soupire et poursuit : je m'appelle Sergei. Et je... Je suis ton meilleur ami, finit-il par dire après une pause trop longue. Il y a quelques semaines, un pseudo-chercheur t'as enlevé pour effectuer des expériences sur ton corps et ta psyché. À ce que je vois elles ont eu un impact sur ta mémoire. J'ai réussi à te retrouver et à te soustraire de leurs griffes il y a deux jours. Tu ne te réveillais pas quoi que je fasse, j'ai essayé de te faire boire, mais ce n'était pas évident."
Il rit d'un air de plus en plus gêné avant de rajouter : je suis sorti t'acheter à manger et quand je suis revenu et que je ne t'ai pas vu, j'ai cru qu'ils t'avaient retrouvée."
Je ne comprends rien, je ne veux pas comprendre, je n'en sais pas assez pour comprendre. Une douleur aiguë se déclenche sous mon crâne, mes oreilles sifflent.
Je secoue la tête de droite à gauche puis de gauche à droite. Je me roule en boule. J'ai mal. Je veux fuir cette douleur. Pourquoi ai-je si mal ? Qu'est-ce qui me fait si mal ?
Je le vois, mon pianiste, qui me sourit, je veux le toucher, je veux qu'il me prenne dans ses bras et qu'il me dise que ce n'est qu'un mauvais rêve, que c'est fini maintenant, que je n'aurais plus jamais besoin d'avoir mal comme cela, mais alors que je tends mes mains vers lui, son image s'éloigne et se brouille. Mon crâne semble vouloir se fendre en deux. Je ne sais pas ce qu'il se passe, j'ai l'impression de flotter dans les airs.
Je sens le vent de la plaine et la force tranquille des grands fleuves contre ma peau, je sens les fleurs sauvages et la terre humide de la forêt. Je sens l'odeur de ma proie, mais aussi celle du prédateur qui me pourchasse. Je sens l'euphorie de la chasse et la panique causée par elle. Je suis faucon et je suis lièvre, je suis loup et je suis mouton, mais je suis également humaine, je suis le sur-prédateur, je n'ai pas d'égal, je suis au-dessus de tout ça. Je me sens puissante, mais je suis également très fragile. Il ne faut pas que je l'oublie ou je vais me perdre.
Je reviens brutalement à moi en sentant des doigts frais de chaque côté de mon visage. J'ouvre les yeux pour les plongées dans ceux céruléens et inquiet de Sergei. Nos visages ne sont qu'à quelques centimètres l'un de l'autre et cela semble le troubler. La tempête qui gronde en lui se reflète dans ses prunelles. Il lui faut quelques secondes et un effort apparent de volonté pour reculer et revenir à sa place initiale à plus d'un mètre de moi. Il fouille dans le sac en plastique posé à côté de lui et en sort deux sandwichs, il m'en lance un et commence à manger l'autre.
" Mange, tu dois reprendre des forces. "
J'obéis en le dévisageant ouvertement. Il est plutôt beau. Il porte un jogging noir qui semble chaud et confortable avec une sorte de débardeur gris qui laisse voir une musculature fine et athlétique. Il a des doigts fins et puissants. Son visage est anguleux, il a une mâchoire assez prononcée qui, souligné par ses épaules carrées, ajoute un certain charme. Il a les cheveux blonds, en bataille et passe souvent la main dedans. Il a un nez fin et droit et une bouche bien dessinée. Je me demande si ce n'est pas un mannequin ou un joueur d'un jeu d'équipe quelconque.
"Arrête de me regarder comme ça s'il te plaît Éden."
Je m'appelle donc Éden ? J'aime beaucoup. C'est le nom qu'on donne souvent au Paradis, mais plus que cela, j'aime la sonorité du mot. Il flotte sur la langue comme un nuage à la pomme.
Je me concentre sur mon sandwich et nous finissons de manger en silence.
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Nouvelle Ère
FantasiÉden se réveille dans un hangar désaffecté, elle ne se souvient de rien mis à part une mélodie entêtante joué par un mystérieux pianiste. Elle décide alors de partir à sa recherche, persuadée qu'il peut l'aider à retrouver la mémoire. Accompagnée de...