La pénombre règne dans la chambre. Des écrans et des diodes lumineuses tentent vainement de repousser l'obscurité, permettant à l'homme de scruter les traits de l'enfant. Il les connaissait par cœur, les traits de cet être, et pourtant, ils ne lui disent plus rien.
L'homme soupire, résigné. Il sait qu'elle ne survivra pas longtemps dans ce corps, mais il n'est pas encore prêt à faire ça, il se dit qu'il ne peut pas faire ça.
Plongé dans ses pensées, il ne remarque pas immédiatement que les bips réguliers de l'électrocardiographe se sont ralentis, il ne remarque pas tout de suite que l'enfant ne respire plus aussi profondément qu'auparavant.
Enfin, il lève la tête vers sa fille et se rend compte de la situation. Il sait que c'est urgent, qu'il ne peut plus repousser l'échéance, il ne peut plus faire marche arrière. Alors il fait la seule chose qu'il est maintenant capable de faire. Il prend ses responsabilités. Il prend une décision. Il sait ce qu'elle implique. Pourtant, c'est avec résolution qu'il sort de la petite chambre. Il fait un signe de tête à l'infirmière qui attend patiemment à côté de la porte. Elle rentre s'occuper de sa patiente, sans émotions. Il se dit alors qu'il devrait en trouver une autre qui ferait preuve de plus de compassion.
L'homme secoue doucement la tête et s'en va. Il rejoint son bureau sans adresser la parole aux scientifiques qu'il croise. Il y a encore quelques mois, il se serait arrêté pour discuter avec chacun d'eux, mais plus maintenant. Dorénavant, c'est un homme nouveau, pas meilleur, mais plus fort. Ou peut-être plus faible, il ne sait pas. Il ne souhaite pas savoir. Il souhaiterait seulement que tout s'arrête. Mais il ne peut pas se laisser aller alors il déconnecte son cœur. Il ne veut plus ressentir toutes les émotions qui le traversent et, bien qu'il sache qu'il fait une grosse erreur, il ne peut plus supporter la culpabilité qui l'étouffe.
Il est assis face à son bureau maintenant.
Il se penche vers son téléphone pour appeler un de ses employés. Il va enfin faire ce qu'il aurait dû faire depuis plusieurs semaines déjà.L'appel passé, ses ordres donnés, il se permet enfin une petite pause. Il s'enfonce dans son siège totalement abattu. Ce qu'il s'apprête à faire est contraire à son éthique, mais il ne peut pas faire autrement s'il veut sauver sa fille.
***
L'homme se réveille, surpris de s'être endormi, les draps lui collent à la peau. Il ne supporte plus de dormir dans ce lit trop grand, trop vide, pourtant, il ne parvient pas à le remplacer. Il a, à plusieurs reprises, envisagé de vendre sa maison et ses biens, mais il les garde. Même s'il souffre tous les jours en les voyants, il accueille cette douleur à bras ouverts.Quelle chose plus étrange qu'un homme brisé, qu'un homme qui a tout perdu, qu'un homme qui se fait souffrir pour se sentir en vie ? Ce genre d'homme perd de ce quelque chose qui fait
d'un homme un être humain. Il perd de son humanité et souvent aussi de sa raison.
" Voilà, comme ça ! C'est bien ! oui! Regarde devant toi !
- Tu me lâches pas hein?
- Oui, je suis juste derrière toi. Promis je ne te lâche pas mon chéri. Je ne te lâcherai que quand tu te sentiras prêt.
- D'accord...
- On essaie ?
- Oui... Regarde maman, j'y arrive ! Sans les petites roues !
- Oui! Je suis tellement fière de toi, Joseph! "
Les mots filtrent à travers les rideaux tirés sur des fenêtres laissées entrouvertes, ils s'infiltrent, s'immiscent. L'homme hésite, regrette peut-être, mais ne cède pas, Il ne change pas d'avis. Il tient trop à sauver cette vie quitte à prendre celle d'un autre. Il n'a pas d'autre choix. Il l'a promis, Il le lui a promis. Une promesse à l'arrière-gout d'asphalte, de sang et de mort qui lui coûte maintenant une vie.
Une vie contre une vie.
Bientôt, il entendra les sanglots d'une mère ayant perdu son fils. Bientôt, il devra faire face à cet enfant et lui dire droit dans les yeux que s'il mourrait, c'était à cause de lui. Il devrait dire à cet enfant qu'il ne reverrait plus jamais l'ignoble beauté du monde. Mais il le ferait sans hésiter une seconde, en véritable monstre qu'il était.
************Il se tient devant lui, devant l'enfant minuscule, sans défense, impuissant.
Il le regarde longtemps, sans parler, Il le fixe, le dévisage. Il grave dans sa mémoire cet air innocent. Il veut s'en souvenir avec exactitude.
Il l'a déjà testé, le garçon est en tout point compatible avec sa fille, peut-être un peu trop jeune, mais c'est la première fois qu'une telle expérience est menée. Il n'a aucune idée des possibles résultats.
Il tente d'afficher un air doux ou compatissant, quelque chose de réconfortant pour cette pauvre chose assise devant lui. Il ne sait pas s'il y parvient. Il aimerait que la dernière chose que voit cet enfant ne soit pas effrayante.
Il prend la parole.
Les mots se perdent, s'écoulent, fluide, hors de son corps. Il tient des propos encourageants, il ne sait pas vraiment ce qu'il dit, ils sont sûrement encourageants non?
Puis il fuit.
Il fuit ses responsabilités en faible lâche qu'il est. Il ne peut pas voir l'âme de cet enfant quitter son corps sur son ordre alors il fuit. Et dans sa fuite, il réalise une chose. La tempête infernale qui le malmène depuis l'accident, l'ouragan qui gronde en lui depuis si longtemps et le maltraite, se calme peu à peu pour, sans doute, il l'espère, laisser place à la paix à laquelle il aspire depuis si longtemps. Il a fait de son mieux.
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Nouvelle Ère
FantasyÉden se réveille dans un hangar désaffecté, elle ne se souvient de rien mis à part une mélodie entêtante joué par un mystérieux pianiste. Elle décide alors de partir à sa recherche, persuadée qu'il peut l'aider à retrouver la mémoire. Accompagnée de...